Etoile Lou, beau sein de neige rose

LOU, MON ETOILE  (3 juin 1915)

L’étoile nommée Lou est aussi belle aussi voluptueuse qu’une jolie fille vicieuse
Elle est assise dans un météore agencé comme une automobile de luxe
Autour d’elle se tiennent les autres étoiles ses amies

Autour de l’automobile stellaire s’étend l’infini éthéré
Les Planètes rutilantes se montrent tour à tour comme des déesses callipyges sur l’horizon
La Voie lactée monte comme une poussière derrière
Le météore automobile
Des guirlandes d’astres décorent l’infini
Le météore automobile luxueux et architectural
Comme un palais
est monté sur un bolide énorme qui
tonne à travers les cieux
qu’il sillonne d’éclairs
versicolores et durables comme
de merveilleux feux de Bengale
Et doux comme des baisers éternels
Et des rayons de soleil ombragent
Ainsi de beaux arbres printaniers
La route diaphane

Ô Lou, étoile nommée Lou la plus belles des étoiles
Ô reine des étoiles
Ton royaume s’étend en plaines animées comme les oiseaux
En plaines mouvantes comme un régiment
De Fantassins nomades

Etoile Lou, beau sein de neige rose
Petit nichon exquis de la douce nuit
Clitoris délectable de la brise embaumée
D’Avant l’Aube
Les autres astres sont ridicules et sont tes bouffons
Ils jouent pour toi des comédies
Fantasmagoriques

Ils font les fous pour que l’Etoile nommée Lou ne s’embête
Pas
Et parfois les nuits sont mortelles
L’étoile nommé Lou
Traverse des prairies d’asphodèles
Et des fantômes infidèles
Pleuvent dans les abîmes autour d’elle…

Mais cette nuit est si belle !…
Je ne vois que l’étoile que j’aime.
Elle est la splendeur du firmament
Et je ne vois qu’elle
Elle est un petit trou charmant aux fesses des nuages
Elle est l’étoile des Etoiles
Elle est l’étoile d’Amour
Ô nuit, ô nuit dure toujours ainsi

Mais voici
Les gerbes des obus en déroute
Qui me voilent mon étoile
Je baisse les yeux vers les ténèbres de ma forêt
Et mon intelligence amoureuse
Devient oiseau
Pour aller revoir plus haut plus haut
Plus haut toujours
ce petit cœur bleuâtre
Qu’est mon étoile nommée Lou
Ma douce étoile qui fait vibrer au ciel
Des mots d’amour exquis
qui viennent en lents airs dolents
qui correspondent nuance à nuance
à chaque chose que je pense.

Etoile Lou fais-moi monter vers toi
Prends-moi dans ta splendeur
Que je sois ébloui et presque épouvanté
Que l’espace bleu se creuse à l’infini
Que l’horizon disparaisse
Que tous les astres grandissent
Et pour finir fais-moi pénétrer dans ton paradis
Que j’éprouve une sensation de bien-être inouï
Que j’absorbe par toute ma chair, toute mon âme
Ta lumière exquise

Ô mon paradis

Gui.

Post-scriptum:

Ce poème extraordinaire est extrait des « Lettres à Lou », publiées chez Gallimard

Les ponctuations, usages de majuscules et de minuscules sont à l’identique.

Print Friendly, PDF & Email
N'hésitez pas à partager
Ce contenu a été publié dans Apollinaire, Livres, Poésie. Vous pouvez le mettre en favoris avec ce permalien.