Guillaume Apollinaire, l’ami baroque

 A l’occasion des 99 ans des Soirées de Paris, nous publions aujourd’hui un extrait du texte signé André Billy en préface de la Pléiade sur l’œuvre de Guillaume Apollinaire.

J’en étais encore à me demander s’il convenait d’appliquer à Guillaume Apollinaire l’épithète de postsymboliste, chronologiquement la plus justifiée, quand une idée me traversa, puis me revint avec une telle insistance que je crus devoir m’y arrêter pour l’examiner sérieusement, quitte à la rejeter si elle se révélait décidément inadéquate. Cette idée , c’est que l’art et la poésie d’Apollinaire dépendent du baroque, qu’aucune épithète ne leur convient mieux que baroque au sens flatteur que le mot a pris depuis qu’Eugenio d’Ors l’a justifié aux Entretiens de Pontigny, il y a une vingtaine d’années, et qui, depuis ce temps, a connu une si belle fortune.

Apollinaire ne relèverait ni du classicisme, -cela va de soi- ni du romantisme, ni du symbolisme, il relèverait du baroquisme. Et voilà qu’avant que je me fusse référé aux docteurs en baroquisme, l’idée s’imposait à moi, évidente, éblouissante : Apollinaire était un baroque ! Le terme a longtemps été pris en mauvaise part, on l’appliquait aux gens et aux choses d’une bizarrerie choquante. Avec Apollinaire, c’est d’une bizarrerie séduisante qu’il s’agit, mais l’acception s’est tellement étendue que, quand je dis qu’Apollinaire est un baroque, c’est à peine si je me souviens de ses bizarreries d’imagination et de forme.

Il semble acquis que le baroque est une constante universelle dont le romantisme, moins opposé que lui au classicisme, n’est qu’un épisode. Baroques le goût de la surprise, le parti pris d’étonner, la métaphore outrée, l’image empruntée à l’érudition et qui tire son effet de son effet de son caractère étrange, lit-on dans la Dissertation littéraire générale de MM. Chassang et Senninger. Baroque, un certain style de la barbarie persistant sous celui de la culture ! Baroque l’art hellénistique ! Baroque, tout art de réminiscence et de prophétie, et cet art-là caractérise bien Apollinaire.

Baroque le vitalisme ! Baroque, le libertinage ! Baroque, la préférence donnée aux formes qui s’envolent plutôt qu’à celles qui pèsent ! Baroque, la propension à l’envolée et cela aussi se trouve souvent chez Apollinaire ! Baroque le relâchement de la règle, la rupture de la loi tectonique ! Baroque, la quête des moyens nouveaux de plaire ! Baroque, la tragi-comédie et l’opéra vers lesquels Apollinaire était attiré ! Baroque, l’abandon aux mots ! Baroque, le mépris de l’achèvement ! Baroque, le mouvement à tout prix, la recherche du changement, le besoin d’une expression de plus en plus vive et comme stupéfiante.

(…) Apollinaire est avant tout un grand poète, précisons : un grand poète élégiaque, mais transcendant toutes les catégories de l’esthétique.

(…) N’hésitons pas à dire qu’Apollinaire a été supérieur à sa légende. Pour ma part, j’ai à me reprocher de ne pas avoir assez fait comprendre la profondeur du chagrin que sa mort m’a causé, le caractère irréparable de l’écroulement qui s’est fait en moi, ce matin du 10 novembre 1918 où, devant son cercueil précipitamment refermé, dans la chambre où il venait de mourir sans que j’eusse appris seulement qu’il était malade, j’ai pleuré comme je n’avais jamais pleuré pour personne, en proie à un désespoir qui me faisait apparaître toutes choses dans un obscurcissement irréparable.

Portrait de Guillaume Apollinaire réalisé par Lola Quéré à l'occasion des 99 ans des Soirées de Paris.

(…) C’est cela qui, avec son beau regard, son joli sourire, sa gentillesse, ses irrésistibles façons de plaire et de se faire pardonner, c’est cela qui n’a pas passé dans sa légende et qui, lorsque nous ne serons plus là pour le redire, sera perdu à jamais.

André Billy.

Post-scriptum : Il manque une biographie d’André Billy, journaliste et écrivain né à Saint-Quentin en 1882 et mort à Fontainebleau en 1971. Cet ami d’Apollinaire tenait notamment une chronique au Figaro Littéraire. Le texte publié aujourd’hui lui rend hommage. C’est aussi une manière d’accéder à sa demande en redisant encore ce qu’il redisait avant. PHB

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5 réponses à Guillaume Apollinaire, l’ami baroque

  1. jmc dit :

    Bravo pour ce texte magnifique, hommage à un hommage. Il manque en effet une Vie de Billy. Les Soirées peuvent-elles préciser la date de publication de ce texte, sans doute pour la première édition dans la Pléiade ? Merci.
    jmc

  2. Philippe Bonnet dit :

    Vous avez raison cher lecteur, il s’agit d’une préface à la permière édition. PHB

  3. Ping : Je vous adresse ce calligramme par…mail | Les Soirées de Paris

  4. Ping : Un idéogramme sur un tableur | Les Soirées de Paris

  5. GIRERD Maryse dit :

    Oui, un hommage à un hommage, tous deux si bien écrits: je dis merci à Ph.Bonnet, et bien sûr à Billy, mais lui, ne me lira pas..

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