Larmes divines, caprices et extravagances aux « artsdéco »

Un siècle de joaillerie s’expose aux Arts Décoratifs grâce à trois générations de diamantaires (les belges Arpels) et de joailliers (les néerlandais Van Cleef). De l’ouverture de leur premier atelier Place Vendôme en 1906 à nos jours, ils ont conçu, dessiné, taillé et associé diamants et pierres précieuses.

 

L’exposition est éblouissante. Les joyaux sont enchâssés dans des tubes kaléidoscopes transparents subtilement éclairés. Les imperceptibles variations de la lumière artificielle font scintiller de mille et un feux leurs facettes, simulant les battements de cœur des belles qui les arborent… Ingénieux autant qu’esthétique.

Mannequin portant une toque en ouate ornée de clips et motifs d’oreilles « Cristaux de neige » en or et diamants créés en 1946. Photo D.R.

Les feux de l’amour…  Ils brillent autant pour conquérir que pour pardonner ou dire adieu. Edouard VIII d’Angleterre combla sa maîtresse Wallis Simpson de bijoux, allant jusqu’à abdiquer pour l’épouser. Capricieuse, la Duchesse de Windsor ! L’atelier de la Place Vendôme mit plus d’une décennie à réaliser à sa demande le « collier zip » dont elle rêvait, mais dont elle ne voulut plus, dit-on, une fois terminé… Qu’importe la lubie, on eut la prouesse technique : la maison Van Cleef & Arpels (VCA) acquit à cette occasion la maîtrise des bijoux fermeture éclair. Rainier de Monaco s’en remit au goût du célèbre joaillier pour offrir à sa fiancée un collier de chien à triple rangée de perles. Une parure chic et de bon goût pour celle dont Hitchcock révéla la froide beauté.

Fut-ce pour consoler Soraya de la répudier pour infertilité que le Shah d’Iran la dota d’imposants « motifs d’oreilles » (le terme boucles fait ordinaire) en forme d’escargots  seyant particulièrement au carré de sa mâchoire ? Les diamants sont réputés larmes de Dieu… La lourde tiare dont le Shah couronna l’impératrice Farah Diba quelques temps plus tard en une cérémonie toute Napoléonienne est exposée aux Arts Décoratifs. Mais ce n’en est que la maquette. La vraie n’a pas le droit de quitter Téhéran. L’œil averti aura noté que les innombrables perles dont elle est chargée n’ont pas le même orient que celles du collier de Grace Kelly.

L’argent autorise toutes les extravagances. La milliardaire Barbara Hutton se fit confectionner par VCA une gourmette Martini avec en pendentifs tous ingrédients nécessaires à la confection du cocktail : une orange, un verre, une bouteille (remplie de liquide s’il vous plait !). Et jusqu’au glaçon pour le servir on the rocks !

Au-delà des nombreuses parures féminines exposées, le visiteur s’intéresse au métier de joaillerie – un terme réservé aux parures du soir, par opposition à la bijouterie dont les pièces s’exposent à la lumière du jour. Il s’agit d’un travail… d’orfèvre qui implique des connaissances physiques et optiques. Comment n’être pas fasciné par cet art de tailler ce cristal de carbone d’une dureté sans égal qui lui vaut sa réputation d’éternel ? Un diamant ne peut être usé que par lui-même.

Clip Dancer, New York, 1944, or, diamant taille rose,/taille brillant, rubis et saphirs taille à facettes. Collection Van Cleef & Arpels. © Patrick Gries / Van Cleef & Arpels

Et tout l’art du joaillier consiste à trouver le meilleur rapport entre la table, la couronne et la culasse de cette pierre d’exception pour en obtenir la réfraction de lumière idéale. Selon le bijou à réaliser (nœud, ruban, dentelle, danseuse, animal…), le diamant sera taillé en baguette, en marquise, en navette, en rose (cabochon) ou en brillant mathématiquement calibré à 58 facettes.

De curieux objets sont exposés en vitrine. Des minaudières, ces mini sacs à main en or sertis de pierres précieuses indispensables à toute garde-robe puisqu’allant avec toutes les tenues, comme la petite robe noire convient en toutes occasions. Des montres astucieusement dérobées à la vue du voisin ou du vis-à-vis, une femme désirée ayant juste le droit d’être en retard, pas celui de consulter l’heure.

Des bijoux transformables aussi, colliers se dédoublant en bracelets, clips de sautoir détachables pour devenir broches, diadèmes se réinventant en colliers tel celui qu’arbora Charlène Wittstock le jour de ses noces avec le prince Albert de Monaco. L’art d’accommoder les restes chez les riches, les restes étant des pièces valant plusieurs millions de dollars…

Clip Dancer, New York, 1944, or, diamant taille rose,/taille brillant, rubis et saphirs taille à facettes. Collection Van Cleef & Arpels. © Patrick Gries / Van Cleef & Arpels

L’exposition se déroule par décade, des années 1920 à aujourd’hui. Dans l’intervalle, la maison Van Cleef & Arpels (rachetée en 2000 par le Suisse ) aura breveté la maille articulée « Ludo » et inventé le « serti mystérieux », incroyable technique illustrée dans l’affiche de l’exposition, un chrysanthème faits de diamants et rubis. A cette « marguerite des morts » (!), on préfère sa voisine de vitrine, une tout aussi rouge et brillante pivoine… Grâce au fameux serti, les rubis des fleurs n’ont enduré aucune griffe, ni sertissage. Ils ont été un à un glissés dans d’invisibles rails montés au dos de la broche. Un travail d’emboîtement de Pénélope que seule une dizaine d’hommes de l’art savent aujourd’hui pratiquer. La technique fait des « déchets » (poudre de rubis) mais au diable l’avarice !

Le bijou réalisé en 2006 pour le centenaire de la maison VCA est un condensé de tous les savoir faire de la marque. Il s’agit d’une rivière de diamants baguettes se prolongeant par un incroyable drapé de rubis qu’accompagne un clip « fée clochette » dont la tête est un petit diamant poire taillé en brillants. La parure est d’une grâce et d’une légèreté inouïes. Elle est à mes yeux moins nouveau riche que le dernier ouvrage sorti de l’atelier de la Place Vendôme qui a nécessité plus de trois mille heures de travail. Il s’agit d’un phénix de diamants et rubis qui se termine par un diamant goutte d’eau de 9,76 carats. Le carat (0,2 grammes) n’est pas l’euro, il arrive que sa valeur marchande s’arrondisse à la décimale supérieure…

Il ne reste plus que quelques jours pour se rendre à cette exhibition somptueuse faite de joyaux exposés (dont un tiers provient de collections privées) et de photographies in vivo des parures portées.

Jusqu’au 10 février

 

 

 

 

 

 

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3 réponses à Larmes divines, caprices et extravagances aux « artsdéco »

  1. Bruno Sillard dit :

    Un joaillier m’expliquait un jour qu’il y avait caché dans ces bijoux d’exception des puces qui permettaient de suivre l’objet… et donc madame. Quand on vous dit que les riches vivent l’enfer. Vous vous rendez-compte, être suivi comme un vulgaire taulard en liberté conditionnelle!

  2. marie j dit :

    A signaler aussi que dans cette expo, il y a un petit film très intéressant sur les artisans qui travaillent chez « VCA ».

  3. de FOS dit :

    Je n’ai pas eu le temps de voir le petit film, tant l’exposition est, c’est le cas de le dire, riche !
    Suivre l’objet, c’est suivre Madame. A l’aide d’un joyau, c’est tout de même plus gratifiant qu’à l’aide d’un « suivez-moi jeune homme », ce chapeau ceint d’un ruban qui flotte dans le sillage de la belle… (Rien à voir avec l’emblême des Déménageurs Bretons !)

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