Sur FIP, une hallucination livresque

A force de s’y lover depuis des années chaque fois que l’on se lasse de l’écoute de toutes les paroles radiophoniques, même les plus subtiles, on se croit bon connaisseur de FIP : on y a ses préférences pour la voix de telle ou telle, on guette les sélections du mois avec gourmandise, on pense paresseusement que, depuis le temps, on en aurait gagné beaucoup des places de spectacles si on avait le téléphone greffé dans la main avec le numéro du standard en appel d’urgence et puis on est trop content de savoir sa journée sauvée quand on arrive pile à l’heure pour le jazz vespéral.

La seule chose qu’on n’y avait jamais entendue, c’est un mini-reportage littéraire, mêlant critique, éclairage historique et – évidemment – musical, et extraits de lecture. On ne savait même pas que c’était possible.

Et pourtant. C’était un dimanche matin de décembre en traversant une forêt glacée derrière le château de Versailles. La surprise fut telle que je serais bien incapable aujourd’hui de dire qui a parlé et dans quel ordre. Mais je garde le souvenir confus de plusieurs voix enthousiastes m’intimant l’ordre de me ruer dans une librairie pour y acquérir « Le terroriste noir », signé d’un écrivain guinéen, Tierno Monénembo. Je ne suis pas experte en littérature africaine. Je confesse que l’existence de cet auteur m’avait échappé, quand bien même il avait obtenu le Renaudot en 2008 pour un autre roman. Toujours est-il que j’ai trouvé une librairie ouverte dans un sinistre centre commercial ouvert le dimanche, acheté le livre. Et me suis laissé envahir par la surprise.

La trame est inspirée d’une histoire vraie : celle d’un « pauvre nègre », embrigadé dans les bataillons de tirailleurs d’Afrique, tout juste échappé des geôles allemandes en 1940 et découvert dès les premières pages en train de s’apprêter à périr de froid dans une forêt vosgienne. Ca se passe à Romaincourt où « personne n’avait jamais vu de nègre ». Addi Bâ, c’est son nom, va dompter de son charme et de son autorité tout ce que les alentours de Romaincourt compte de cœurs à prendre, de jeunes gens prêts peut-être pas à tout mais à beaucoup pour éviter la conscription, d’âmes un peu veules, de langues de vipère…

Bref tout un flanc des Vosges se laisse guider – en se rebiffant parfois – par ce vaillant « patriote » tour à tour chef de guerre organisant les maquis et puis bon fils veillant sur les cœurs qui lui étaient tout dévoués. Une affaire de rivalité d’une grande banalité interrompra brutalement l’aventure d’Addi Bâ dont personne ne saura jamais qui l’a vraiment trahi. Mais il en est mort. Des décennies plus tard, quelques uns des scribes anonymes et minutieux de l’histoire de la 2ème Guerre ont remonté le temps pour tracer le parcours du pauvre nègre. Ils servent de prétexte à la genèse de ce roman : un descendant d’Addi Bâ est en visite dans les Vosges où vient d’être dévoilée une plaque de rue en hommage à son aïeul héroïquement mort pour la France.

« Le terroriste noir » est donc tiré de cette histoire vraie et le livre tient son titre du surnom que les Allemands avaient donné à ce soldat insaisissable. Les fins connaisseurs de ce pan de l’histoire soulignent combien le roman a trop romancé les quelques années vosgiennes d’Addi Bâ. Sans doute et peu importe. Tierno Monénembo trace le portrait de villageois vosgiens, traversés par les ambiguïtés de la guerre dont le vibrionnant guerrier guinéen les distrait et les abstrait pour les entraîner dans l’aventure paramilitaire avec un sens de l’organisation qui laisse d’autant plus pantois qu’il est doublé d’un appétit sexuel qui en fait succomber plus d’une, y compris parmi les plus convenables d’entre elles.

Ce roman est donc une surprise à l’état pur. Tout comme l’était la surprise d’entendre sur FIP d’avisés conseils de lecture. Si un des lecteurs des Soirées de Paris sait me dire s’il s’agit là d’une habitude trop discrète de FIP, je suis preneuse d’en savoir plus. On ne saurait soupçonner FIP d’être de mauvais conseil.

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2 réponses à Sur FIP, une hallucination livresque

  1. Philippe Bonnet dit :

    Comme le disait Sophie Daumier en parodiant FIP: « c’est gratiné rue de ravioli ».

    FIP est l’une des rares radios à prendre soin de nos oreilles. Cette antenne vit aussi de la redevance mais elle le mérite. PHB

  2. pierson pépé dit :

    hum je cherche un soir tendre avec vous tous happy radio porteuse de mes ondes jeunnes

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