La Winchester qui n’en était pas une

Je ne sais pas comment elle est arrivée ici. Bien sûr, elle était chez mon grand-père. Il me laissait jouer au cowboy avec. Il est certain qu’elle fut fabriquée aux Etats Unis, c’est gravé. Un jour, il me l’a donnée, mais je ne l’ai récupérée que bien après, quand la grande maison fut vendue. Longtemps j’ai cru que c’était une Winchester, un fusil à répétition avec cette poignée en arrière de la gâchette qui permet l’extraction de la cartouche. Son allure même symbolise le Far West américain.

A dire vrai, ma Winchester est une Marlin, Marlin Safety, le nom est gravé sur la culasse, le  petit mais unique concurrent de Winchester. On peut lire une date sur le canon, oct. 1887, puis une autre moins bien gravée : April 189 ? Le dernier chiffre est illisible, un peu comme s’il avait été frappé trop vite sur le métal.

La date d’achat, peut-être? En ces temps, le fusil Marlin marquait des points sur son concurrent, son mécanisme plus robuste pouvait tirer les balles très puissantes homologuées par l’armée américaine et surtout les cartouches étaient éjectées en sécurité sur la droite et non par le dessus. Le boîtier Safety indiquerait plutôt une date de fabrication entre 91 et 95.

On roulait cap  vers l’Est. Sur la gauche, il ne restait plus du Grand Canyon que de grandes crevasses noires qui étoilaient le sol jaunâtre du désert américain. Parfois sur un parking, un mobil home attrape-touristes en quête de souvenirs indiens, attendait le chaland sous le soleil brûlant. Parfois, plus loin dans le désert poussiéreux on apercevait un baraquement. Triste. Les restes d’un peuple, dont on a tout volé, et qui n’ont plus que leur nom pour se rappeler d’eux même, ici les Apaches, les Comanches vers le Texas, les Sioux dans les plaines. Peuples déportés, massacrés, la guerre de Sécession fut une guerre de blancs contre blancs sur le bon usage du noir, les guerres indiennes ne visaient qu’à les faire disparaître. L’Américain cherche son histoire, les Ghost City que l’on visite là-bas, souvenirs des villes des chercheurs d’or, font sourire, une image du rêve américain : des faux duels de faux cowboys d’un côté et puis cette autre image, celle de ces baraquements que l’on ne visite pas.

En 1956, John Ford signa un de ses plus beaux films, « la Prisonnière du désert ». Un chef d’œuvre qui rompt avec les westerns manichéens. Dans le John Ford de Peter Bogdanovich, Ford déclarait : « C’est un peuple très digne – même lorsqu’il a été battu. Naturellement, ce n’est pas très populaire aux États-Unis. Le public aime voir les Indiens être tués. Il ne les considère pas comme des êtres humains, possédant une culture profonde, différente de la nôtre. Si vous regardez les choses en détail, vous découvrez pourtant que leur religion ressemble en beaucoup de points à la nôtre. » « La prisonnière du désert » date de1956. Ce n’est pas un hasard si aussi, en novembre 56, la cour suprême des Etats-Unis déclarait inconstitutionnelle, l’interdiction faite aux noirs de fréquenter ou de s’assoir dans certains lieux réservés aux blancs.

« La prisonnière du désert ». Source image: Movie covers

Dans le film, le personnage joué par John Wayne est animé d’un esprit de vengeance à l’égard des Comanches, ne tuant les bisons que parce qu’ils représentent un moyen de subsistance pour eux. Douze coups, les mêmes balles que le colt, une précision à 200 mètres. Il n’en fallait pas plus pour tuer pour le simple plaisir. Le bison a quasiment disparu. Jusqu’au XVIIIème un impressionnant troupeau de 25 millions de têtes parcourait les grandes plaines. A l’origine chassé pour la viande, puis pour la fourrure, puis pour affamer les indiens, un homme pouvait en tuer 100 par jours, quatre sur cinq n’étaient même équarris.

Un jour mon fils avait bloqué le mécanisme du fusil, il défendait le dernier carré de sa chambre face à une bande de  voleurs. L’arme enrayée, même les assaillants se sont éclipsés poussés par la crainte de la colère du chef de camp, sans doute. Elle ne vint point. Le « Padre » y vit un prétexte  valable pour démonter l’arme. Le levier se terminait en fourche déplaçant la culasse en bloc, qu’un ingénieux et simple système de tétons en bascule aiguillait la balle vers la chambre où en extrayait la cartouche.

On se dirigeait vers Monument Valley, les paysages grandioses filmés par John Ford avec ses cheminées de laves sculptées par l’érosion.

Mais c’était trop loin, il fallait choisir, notre camping car tout confort fit demi tour. Je pense à ces charriots brinquebalants, sous la chaleur ou le froid, un rêve les avait fait partir et bientôt le seul espoir de vivre les poussait à continuer. Et au bout d’un voyage sans fin, une autre histoire bien loin de celle de la petite maison dans la prairie.

L’armée marquait la frontière de l’Ouest au rythme de l’avancée de ses fortins. Guerre contre les indiens, guerre contre le Mexique pour le Texas, tout était guerre, guerre des bovins, des barbelés puis guerre du contrôle de l’eau et de ses sources, ruée vers l’or. Il me revient en ma mémoire un superbe roman de James Michener, « Colorado ». L’histoire de la conquête de l’ouest au travers d’une famille. Une saga passionnante.

Tout se bouscule, les « Longhorn » puis les « hereford », les bovins de l’ouest américain, les femmes indiennes abandonnées à la mort de leur homme, les voleurs de chevaux que l’on pendait…

Je regarde la Winchester qui n’en est pas une. Elle aura loupé tout ça, enfin peut-être. N’aura-t-elle tiré que quelques gros gibiers ? Ce n’est pas plus mal du reste.

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2 réponses à La Winchester qui n’en était pas une

  1. You shot me down bang bang. PHB

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