Port-Aviation pleure ses pilotes

Ce qui était en 1909 le premier aéroport organisé au monde est cité dans « Zone » le premier poème d’Alcools dont on célèbre en ce moment le centenaire de la publication. Apollinaire a écrit ce texte à l’automne 1912. Compte tenu de son attirance pour la modernité, il n’est pas impossible, osons même dire probable, qu’il ait fait un jour le déplacement jusqu’à Viry-Châtillon pour aller voir les avions tenter des décollages périlleux. On ne sait s’il a pu assister au départ du Comte de Lambert parti le 18 octobre 1909 jusqu’à la Tour Eiffel pour en faire le tour sous les vivats et revenir sans plus d’encombres à son point d’envol. C’est le mois où Apollinaire emménageait au 15 rue Gros à Auteuil, mais cette présence parisienne rend compatible un déplacement à  Viry.

C’est à l’initiative de passionnés que cette commune de l’Essonne vit apparaître Port-Aviation. Ils avaient fondé pour se faire la SEA, société d’encouragement de l’aviation. Ce devait être une époque formidable. Sur le site Internet (1) qui entretient mieux la mémoire du lieu que le lieu lui-même, on voit des types sortir d’un hangar avec leur avion sous le bras dans l’idée d’aller faire des tours de piste à cinq mètres d’altitude. C’était des débuts joyeux à en juger le visage de cet homme hilare derrière son fumigène au coin des lèvres. Une époque où l’on ne réglementait heureusement pas autant qu’aujourd’hui et où tel gars partait sans préavis officiel « vaincre » les Alpes à deux mille mètres d’altitude. Port-Aviation attirait du monde ça peut se comprendre avec cette effervescence, cet enthousiasme, ces drames aussi, qui faisaient que la vie y gagnait en intensité.

Autour de l’enceinte, il y avait un immeuble à tout faire et c’est tout ce qu’il reste aujourd’hui de Port-Aviation. C’est un genre de grande guérite à colombages dont un panneau indique qu’elle risque de s’effondrer. Il y a des bâches en plastiques sur le toit. Tout le périmètre de l’ancien aéroport est désormais planté de pavillons. Trop petit, pas adapté aux progrès galopants de l’aéronautique, Port-Aviation a vite été déclassé et remplacé par un site voisin qui plus tard allait devenir Orly, ainsi que le Bourget au Nord.

Aujourd’hui il faut prendre le RER D et descendre à Viry-Châtillon. Gagner Port-Aviation nécessite trente minutes de bonne marche environ en se laissant guider par les rues aux noms d’aviateurs (Roland-Garros, Guynemer…). Après s’être inquiété de la bonne direction auprès des rares passants, on finit par « atterrir » dans une rue au bout de laquelle se trouve la maison-témoin qui comprenait notamment un club pour les membres de la SEA. La vie s’en est allée mais en se concentrant en peu on imagine sans trop de peine la foule, les pilotes dans leur veste de cuir, la kermesse aérienne du dimanche. Cela ne sert à rien de s’attarder, ce bâtiment pleure le manque d’entretien, les fêtes perdues.

Dancing, hôtel, menuiserie, le lieu a connu d’autres étapes et d’autres fonctions avant de conserver les courants d’air qui agitent ses parois. Ce sont des restes de turbulences, reliquats dus aux décollages de la grande époque. Ils se cognent aux murs, laissés pour compte, comme pris au piège, tels des insectes dans une carafe à mouches.

PHB

Le site qui vous donnera des détails.

 

Le début de « Zone » par Guillaume Apollinaire:

À la fin tu es las de ce monde ancien
Bergère ô tour Eiffel le troupeau des ponts bêle ce matin
Tu en as assez de vivre dans l’antiquité grecque et romaine
Ici même les automobiles ont l’air d’être anciennes
La religion seule est restée toute neuve la religion
Est restée simple comme les hangars de Port-Aviation…

Print Friendly, PDF & Email
N'hésitez pas à partager
Ce contenu a été publié dans Apollinaire, Histoire, Surprises urbaines. Vous pouvez le mettre en favoris avec ce permalien.

4 réponses à Port-Aviation pleure ses pilotes

  1. Gérard H. Goutierre dit :

    Belle et émouvante évocation … Merci pour cette véritable découverte de ce qui fut certainement un haut lieu de la modernité.

  2. Philippe Bonnet dit :

    La question s’étant posée: Un aérodrome est l’ensemble des infrastructures permettant le décollage, l’atterrissage et les évolutions des avions au sol. Un aéroport est destiné au trafic aérien commercial de passagers ou de fret. Selon Wikipédia. Il semble donc que Port-Aviation était plus un aérodrome qu’un aéroport. Mais Port-Aviation, c’est mieux que Drome-Aviation. Non? PHB

  3. dean dit :

    wondeful thank you very much

  4. Ping : Séquence de vol | Les Soirées de Paris

Les commentaires sont fermés.