Le passeur des deux rives

Une langue de terre qui borde un quai à peine construit de quelques maisons et c’est à, disons, 4 stations de la Gare de Lyon. Ah bien sûr il ne s’agit pas de stations de métro, mais c’est presque pareil. La première c’est Nîmes, la deuxième Montpellier, la troisième Sète et la quatrième Agde. Et une dizaine d’euros plus loin, un taxi vous aura déposé à la Tamarissière, un bout du monde à l’embouchure de l’Hérault, ce beau fleuve vert qui descend en larges virages du Mont Aigoual.

Un poste avancé du paradis si proche de Paris donc, puisqu’il suffit de compter jusqu’à quatre.  Nous blasés éprouvons  un sentiment d’incrédulité face à cet urbanisme figé dans les années trente, en songeant au tumulte de la gare de Lyon laissé derrière soi. Nous stressés observons maintenant la tranquillité déconcertante de cette bergeronnette qui a nidifié tout près d’un hors-bord mouillé sur le fleuve. Elle se promène même sur le roof du Chris-Craft, y compris quand son propriétaire est à bord, c’est dire si le coin est paisible.

Agde est à quatre kilomètres, mais Agde, en comparaison de La Tamarissière (que les familiers appellent «la Tama»), Agde encore, c’est Caracas. Ces deux localités ne partagent principalement que deux choses. L’Hérault bien sûr et aussi cette pierre noire, basaltique, qui fait d’Agde une ville bien noire tout comme les quais et les bittes d’amarrage de la Tamarissière tout de basalte alvéolées.

Un morceau de lave figée, sur la plage de la Tamarissière. Photo: LSDP

Il faut dire qu’il y a localement, au Cap d’Agde, un vieux volcan dont la notoriété peine à franchir les limites du département. Ce n’est certes pas le Cantal, leader européen par sa taille, dont il serait le cousin axial. La moitié de son cratère est encore visible. Ses crachats de lave ont fusé dit-on pendant près de 250 000 ans. Sur la plage solidaire du quai de la Tamarissière, il est toujours possible de ramasser des galettes de lave figées.

C’est ce qui fait parmi mille autres détails, qu’entre un volcan qui expectorait ses glaires méphistophéliques il y a de ça plus de 7500 siècles et une gare parisienne en surchauffe constante avec ses grandes coulées de passagers en fusion, que l’on a cette nette impression, à la Tama, de se trouver dans un endroit à part, au doux décor colonial.

Le Grau d’Agde vu du quai de la Tamarissière. Photo: LSDP

Il y a ici une micro-vie sociétale aux cloisons invisibles qui fait dire à Pierre, l’un de ses plus courtois habitants, quand il  a achevé le tour de la Tama en vélo : «maintenant je suis au courant de tout» (des nouvelles du jour). Si l’on veut renouer avec un peu d’agitation, encore que le mot soit un peu exagéré par ici surtout hors saison, il faut prendre l’un des passeurs qui vous transportent de l’autre côté de l’Hérault (au Grau d’Agde) avec la sensation révélée de quitter l’au-delà. C’est pourquoi l’on repart très vite en sens inverse, une fois les courses faites à la rôtisserie du « Poulet bronzé ». Cette enseigne restait à inventer mais c’est désormais chose faite.

Et quand on remet le pied sur le quai de la Tamarissière, impossible de ne pas voir Paul (le passeur ou sa descendance) en  Saint-Paul, et Pierre (celui qui fait le tour de la Tama en vélo) en Saint-Pierre. La Tamarissière c’est le paradis matérialisé avec ou sans verre de Picpoul (vin blanc régional qui se consomme à une vitesse surprenante) en guise de vin de messe.

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3 réponses à Le passeur des deux rives

  1. marie et christian dit :

    nous n’aurions su mieux dire… merci !

  2. Le piano et le saxophone de Charles Lloyd et Jason Moran jouant « I Shall Be Released » se mariaient mélancoliquement bien à la lecture de cette article. Dimanche d’ un été finissant mêlé de pluie et de soleil…

  3. jmcedro dit :

    Tout cela donne diablement envie d’un septembre buissonnier…

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