Masculin-Masculin le grand bazar du Musée d’Orsay

Vierge de tout a priori à cette exposition, hormis la détestable proximité d’un plâtre doré d’Arno Breker* avec  des toiles immortalisant les morts pour la patrie, j’en suis ressortie désorientée par son contenu et son agencement.  

 

La visite démarre avec le tableau « Ecce homo » de Pierre Mignard. Le maître y figure Jésus entouré de centurions  les yeux implorant le Père alors que Ponce Pilate vient de le condamner à la crucifixion. Le visiteur navigue ensuite entre le religieux et le profane, voire le blasphématoire, sans bien comprendre le pourquoi de ces constants va et vient. Ainsi a-t-il droit un peu plus loin au même « Ecce homo », mais  dans sa version ébène avec homosexualité filigranée.

Le maxi  cliché « Martyr et les 72 vierges » peut faire sourire ou indigner. L’œuvre est due à l’icône de la gay culture, le photographe américain David La Chapelle. Elle représente un noir sculptural allongé qu’entourent une nuée de mini poupées Barbie affairées vêtues de tchadors multicolores ou de burka. Allusion directe au Coran qui promet aux kamikazes de retrouver les fameuses vierges au paradis. Si  le tableau explose, ce n’est heureusement qu’en couleurs.

Détail de l’affiche de l’exposition. Pierre et Gilles, Mercure, 2001 (modèle : Enzo Junior) © Pierre et Gilles. Courtesy Galerie Jérôme de Noirmont, Paris

Le comble de la dérision (ou de l’obscénité) est atteint avec la trilogie  « Trois personnages dans une pièce » de Francis Bacon. Connu pour infliger d’improbables déformations à ses personnages, le peintre y figure trois corps flasques et mous dont un, représenté de dos, est assis sur une cuvette de WC comme s’y évacuant  lui-même. Le peintre britannique assume son double sacrilège : il s’immisce en un lieu où « The Queen » se rend seule et recourt au triptyque, héritage de la peinture religieuse.

Le show fait la part belle aux œuvres de Pierre et Gilles, le duo de photographe- peintre- metteur en scène. Kitch en diable leur composition intitulée  « Vive la France ! » où l’humour  le dispute au mauvais goût. On y voit trois sportifs black-blanc-beur nus mais non dépourvus d’accessoires, intimes  et autres (chaussettes). Le tout emballé dans un cadre fait de papiers bonbons tricolores.

On n’échappe pas aux scènes de bain et de baignades toujours lourdes de charge érotique. Elles permettent d’admirer la plastique dorsale et le fessier trempé des nageurs. Le visiteur qui s’attarde sur le grand tableau intitulé « Les bords du Tibre » reste ébloui par la lumière qui nimbe, avec la délicatesse du trait, la poitrine d’un des plongeurs.

Faut-il voir dans les nombreuses œuvres inspirées par Saint Sébastien l’amorce d’une pointe de sadomasochisme ?  L’huile d’Alfred Courmes intitulée « Ex-voto à Saint Sébastien »  le représente en marin ligoté à son poteau, fesses nues,  comme espérant ses flèches. Il est figuré aux côtés d’une Vierge Marie (reconnaissable à  l’auréole) tenant un  petit Jésus qui sponsorise  bébé Cadum. Cette œuvre érotico-irrévérencieuse date de 1935.  Bien avant qu’Arnaud Montebourg labellise sa marinière made in France.

On reconnait de loin un Cézanne à son style et ses couleurs, trois Schiele à ses  contours dérangeants, un Picasso à sa période rose. On se demande ce que les Maîtres viennent faire là, sauf à servir de caution à des contemporains illustres inconnus… Finalement, c’est  le bien nommé « Abel », huile sur toile  de Camille Bellanger servant d’affiche à l’exposition, qui  bouleverse  le plus. En cachant subtilement ce qu’elle entend montrer.

Il serait injuste de passer sous silence les nombreux clichés en noir et blanc exploitant la beauté de la plastique masculine. Notamment ceux d’Elio Luxardo.  Mention drôle et exploit technique réussi pour cette photo intitulée « Dennis Speith » du photographe américain Robert Mappelthorpe. Elle représente un athlète à « quatre pattes » dont les bras suivent si étroitement la ligne des jambes qu’une fois superposés les membres forment un pont au centre duquel  le bouc tient lieu de sexe,  ou l’inverse. On imagine les crampes qu’endura le modèle durant son  temps de pose…

Au rayon sculptures, impossible de n’être pas fasciné par celle à l’hyperréalisme dérangeant de l’australien Ron Mueck immortalisant son père mort : un macchabée étendu sur le dos dont la Grande Faucheuse a déjà raboté  la taille. Chemin faisant, on apprécie  la fuite en avant de « La poursuite », petit plâtre de l’anatomiste Paul Richer. Ces hommes qui détalent invitent à presser le mouvement vers la sortie…

Certains  verront dans ce show bariolé une collection flamboyante et troublante sur l’esthétisme du corps  masculin. Je n’y ai pour ma part trouvé que bric-à-brac pauvre de sens et d’émotions. Je suis restée de marbre face à un monument en stuc.

(*) Sculpteur allemand à la gloire du IIIème Reich

 

 

 

 

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2 réponses à Masculin-Masculin le grand bazar du Musée d’Orsay

  1. Philippe Bonnet dit :

    Le Monde était encore moins tendre. PHB

  2. Ping : Musées au bord de la crise de nerfs | Les Soirées de Paris

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