« Le diable s’habille en Voltaire » , une traque policière jubilatoire

Source image: JC LattèsVoilà François-Marie Arouet  à nouveau en charge d’une désopilante enquête dans le dernier ouvrage de Frédéric Lenormand intitulé «Le diable s’habille en Voltaire» publié chez JC Lattès.

Ca commence très fort par le meurtre d’un moine théologien à St Nicolas du Chardonnet. Le très influent vicaire de cette paroisse ultra conservatrice charge notre philosophe d’élucider le mystère. En toute confidentialité pour ne pas éclabousser la réputation de l’Eglise. Voltaire se lance donc à la poursuite d’une jupière mal  inhumée pour cause de port d’un jupon convoité puisque recélant un trésor. Pour mener à bien ses recherches, l’illustre penseur est secondé par « la moitié de lui-même », sa maitresse Emilie marquise du Châtelet, et par l’abbé Linant, son secrétaire-copiste dévoué comme nul autre pareil.  La tâche n’est pas aisée. Voltaire a à ses trousses un pittoresque exorciste teuton et un lieutenant de police général. Tous deux sont aussi collants que le sparadrap du capitaine Haddock.  Notre Arouet-Voltaire est dès lors tiraillé entre sabre opiniâtre et goupillon intégriste…

L’intrigue policière n’a à dire vrai peu d’importance. Le lecteur peut s’asseoir dessus comme sur un fauteuil (Voltaire). Car dépister l’assassin n’est que prétexte pour faire traverser au lecteur de Paris le fourmillant tableau. Voltaire roule le lecteur en carrosse, des boutiques du Marché-Neuf à l’hôtel Dieu en passant par la forteresse de la Bastille, le cimetière des Innocents et la morgue du grand Châtelet. Sans compter un long détour par la Comédie française où le versificateur espère réitérer  le succès de Zaïre avec sa nouvelle tragédie en cinq actes. Il faut bien vivre…  L’histoire du fameux jupon n’est également que ruse pour soulever les millefeuilles  vestimentaires de l’époque. 

Frédéric Lenormand jubile (et nous avec) de voir l’Eglise requérir  les Lumières du penseur anticlérical pour la traque d’un assassin doté des  attributs du diable. D’Asmodée à Satan, le Malin porte une dizaine d’appellations  dans l’ouvrage. A égalité avec les multicartes du littérateur.

Illustration: PHB

Illustration: PHB

On retrouve l’image familière de Voltaire : parisien en diable, souffrant d’aigreur stomacale, coiffé de sa longue perruque bouclée,  revêtu d’un luxueux pourpoint brodé. L’imagination de l’auteur n’a pas de limite pour exploiter tout ce que l’histoire retient du célèbre penseur : son appétence pour la bonne chère, un goût du luxe certain, sa jalousie envers des confrères, sa haine recuite des Jansénistes, son combat contre l’intolérance religieuse et ses démêlés avec le trône. L’auteur se plaît à souligner la paradoxale similitude de consonance de l’époque entre le mot « roi » et le patronyme du penseur.  Il est un autre rapprochement qui  fera sourire tous ceux que la petite politique passionne. L’auteur de Zadig est, dans le livre, amené à recruter un valet du nom de… Lefèvre. Voici  donc  réunis le temps du roman, le trio Lefèvre, Zadig « et » Voltaire. (Lefèvre est écrit sans b, l’honneur de l’autre Frédéric  est  sauf !)

Ce livre iconoclaste pétille du début jusqu’à la fin. Jubilatoire est  la scène de bain surprise que prend un Voltaire tout maigrichon quoiqu’habillé. Jouissive est la mise au point de la première de sa tragédie, Adélaïde du Guesclin. Désopilantes sont  ces  messageries religieuses en provenance de St-Nicolas du Chardonnet où le plat mijoté tient lieu de pigeon voyageur.

Le livre allie érudition, verve et imagination. Lenormand aussi s’habille en Voltaire quand il lui emprunte sa  plume incisive. Déjà riche des titres « La baronne meurt à cinq heures » et « Meurtre dans un boudoir », la collection « Voltaire mène l’enquête » est digne de figurer au programme du  secondaire pour sa réjouissante polyvalence pédagogique. Tellement plus subtile que Da Vinci Code ! Lauréat des prix Historia et Arsène Lupin,  Frédéric Lenormand  devrait  aussi figurer dans la course aux prix littéraires. Son inénarrable impertinence secouerait  le jury de sa torpeur.   

 

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