« Quai d’Orsay », le verbe s’est fait chair

Quai d'Orsay, l'affiche du filmTirer un film d’une BD n’est jamais chose aisée. Surtout quand la bande dessinée est jouissive, riche de détails aussi pittoresques qu’authentiques.  Le « Quai d’Orsay » de Bertrand Tavernier réussit la gageure. En collant au plus près au texte d’Abel  Lanzac excellemment mis en images par Christophe Blain, le réalisateur-scénariste s’est gardé de toute dénaturation. Le talent du metteur en scène de « Que la fête commence »  réside dans cette modestie au niveau du script et dans le choix très sûr quant à la distribution.

On connait l’histoire. Arthur Vlaminck, jeune énarque normalien, est recruté à la section « langages » au cabinet du ministère des Affaires Etrangères. Il sera chargé de la rédaction des discours du ministre Alexandre Taillard de Worms – une particule à rallonge derrière laquelle il ne faut pas chercher très loin pour trouver Dominique Galouzeau de Villepin. Le nouvel embauché découvre un ministre effervescent pris dans la tourmente des conflits géopolitiques, des enjeux diplomatiques et des  revirements de la situation internationale. Il doit aussi faire face aux rivalités : entre  conseillers,  entre  cabinet et Haute Administration, entre ministres de même gouvernement.  Sans compter les marottes d’un ministre féru de grandeur, d’histoire et de littérature. Vertigineusement propulsé vers la planète Diplomatie, le jeune homme qu’incarne Raphaël Personnaz  perd un peu de sa candeur mais garde toujours son humour.    

Thierry Lhermitte campe un Taillard de Worms taillé sur mesure. Alluré, athlétique, allumé, égocentrique. Mais sympathique malgré tout. Trouvant moyen de monopoliser la conversation lors d’un déjeuner avec le prix Nobel de Littérature (incarné par une Jane Birkin médusée). Ou de se méprendre sur le patronyme de son conseiller, la pire injure pour qui se croit un tantinet bien élevé. Thierry Lhermitte semble s’être beaucoup amusé à jouer le rôle. On rit de ce ministre qui a fait sa bible des Fragments d’Héraclite et se gargarise de beaux concepts.  Il forme avec Niels Arestrup, alias son « dir-cab » Claude Maupas, un binôme des plus réjouissants. Quand l’un est vrombissant, échevelé, magistral,  l’autre est affable, flegmatique,  efficace. Un animal à sang chaud face à un animal à sang froid. Au parler mitraillette de l’un, génial pourfendeur des conflits planétaires, renvoie l’accommodante réserve de l’autre. Vieux sage dont la crinière blanche rappelle Roland Dumas. Ou Pierre Vimont, à qui les initiés en politique prêtent  le règlement en coulisses nombre d’incidents diplomatiques.  

Quai d'Orsay. Couverture de la BD.

Quai d’Orsay. Couverture de la BD.

Dans ce film cocasse et joyeux, prouesse s’agissant de traiter de la situation mondiale, les grandes idées qui finissent en « té » côtoient les plaisanteries de potache et les rimes coquines (reprise gourmande des « Nuits de la demoiselle » de Colette Renard *).  Facétie de l’histoire, le philosophe grec tutoie le petit reporter belge. Un Tintin dont Taillard de Worms fait de la lecture un magistral mode d’emploi !  Au regard de la fiévreuse préparation de ces discours -girouettes qu’agite le vent ministériel,  le menu fragment de la célèbre allocution prononcée par le ministre à l’assemblée générale de l’ONU apparaît bien mince. Surtout sans l’emphase et le lyrisme effréné du vrai « DVP ». »Tout ça pour ça », conclurait hâtivement  le spectateur sans mémoire. Loin de faire « Pschitt »,  l’exposé fut applaudi  par la très mondiale assistance.

 

Traiter des discours avant les discours, faire entrer le spectateur dans les cuisines de la diplomatie, tel était l’objet du script. Ni Hubert Védrine ni Dominique de Villepin n’y ont trouvé à redire. Il semble même qu’ils ont trouvé le plat insuffisamment épicé… En donnant aux personnages de la BD une chair qui n’a rien de triste, Quai d’Orsay mêle donc enseignement et divertissement.  

 

 

 

* www.rue89.com/…/je-me-fais-sucer-la-friandise-colette-renard-est-morte

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