Double ticket pour le musée de l’innocence

Le ticket pour le musée de l'innocence. Photo: Catherine BoccaccioC’est un musée, c’est aussi un livre. Un musée avant d’être un livre ? Un livre avant d’être un musée ? On se déplace dans le musée comme on parcourt le livre. Le musée est une magnifique maison rénovée non loin de Taksim, dans le quartier populaire de Cukurçuma à Istanbul. On y parvient un peu par hasard après avoir longé le magnifique bâtiment de l’ambassade italienne, l’ancienne école primaire italienne, pris des ruelles tortueuses et après s’être laissé distraire par les magasins d’antiquaires qui recèlent de trésors de tous genres.

Le musée a été conçu par Orhan Pamuk, il porte le nom d’un de ses romans. Les 83 vitrines contiennent des objets hétéroclites comme des mégots de cigarettes (en nombre), des boucles d’oreille, des tickets, de la vaisselle etc… Le musée est étonnant, le personnage principal du livre Kemal explique qu’il l’a conçu après avoir visité les musées du monde entier en s’étant plus particulièrement intéressé aux musées liés à la vie du propriétaire du bâtiment devenu musée ou liés à la vie de celui qui y a vécu et où l’on a conservé le lit, la chaise, la plume, une photo, un dessin.

Quand on l’a visité comme nous l’avons fait presque par hasard, on n’a qu’un désir, découvrir le roman. C’est un roman épais, tant par le nombre de pages que par le nombre de lignes toutes serrées. C’est une histoire d’amour passionné impossible ou tout du moins rendu impossible par le personnage principal, qui par respect pour sa famille va épouser celle qu’il doit épouser alors qu’il vit un amour passionné pour l’une de ses lointaines cousines.

Le musée de l'innocence de Orhan Pamuk. Photo: Catherine Boccaccio

Le musée de l’innocence de Orhan Pamuk. Photo: Catherine Boccaccio

Pendant une première partie du livre, on va vivre cette passion qui va durer jusqu’aux fiançailles officielles. Ensuite on va accompagner Kemal  pour rechercher les traces, les souvenirs de l’amante disparue au décours des fiançailles. On verra ensuite comment soir après soir, Kemal parvient à s’infiltrer dans la vie de celle-ci, qui est maintenant mariée. Il sera de tous les dîners, de toutes les soirées, cumulant les objets les plus insignifiants, mais qui représentent un petit quelque chose d’elle.

Ce sont ces objets innombrables gardés en souvenir, parfois volés, qui sont montrés dans les vitrines de ce musée, le bâtiment qui l’abrite étant la maison où Kemal est venu tous les soirs partager la vie de sa belle, son mari et de ses parents. Tout au long du livre, Il se passe finalement peu de choses, on est porté par l’intensité de cette passion et de cet amour impossible, on visite Istanbul, on y est aussi mêlé à la vie politique avec la censure, les manifestations, le respect des traditions au contact de la vie moderne, voire débauchée.

Et dès le début se mêlent et s’entremêlent un Istanbul traditionnel, des femmes avec foulard surviennent subrepticement, ne faisant que passer pour nous rappeler qu’on est en terre d’Islam, la virginité avant le mariage est en toile de fond de l’histoire. A côté de cet Istanbul traditionnel il y a aussi l’Istanbul moderne avec le monde du cinéma, les soirées alcoolisées, les femmes dévergondées. Finalement on ne lâche plus ce livre, porté par la féérie d’Istanbul, la folie amoureuse du personnage principal, qui pendant plus de 800 pages se tiendra auprès de son amante en ne faisant que collectionner les moindres objets souvenirs qu’il rassemblera finalement dans un musée. Pas de meurtre, pas d’agression sur le mari, mais une tension forte qui nous capte jusqu’au bout du livre.

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2 réponses à Double ticket pour le musée de l’innocence

  1. Philippe Bonnet dit :

    Suite à la demande (légitime) d’un lecteur voici la précision demandée: Le Musée de l’innocence (Masumiyet Müzesi en turc) est un roman de l’écrivain turc Orhan Pamuk, ayant reçu le prix Nobel de littérature 2006. Il a été publié en 2008 à Istanbul, et en français en 2011 aux éditions Gallimard (traduction de Valérie Gay-Aksoy) (Wikipédia)

  2. ibanès dit :

    Voilà quelques temps que je souhaitais découvrir Pamuk et cet article a été un excellent appât. Bravo à Catherine Boccaccio et merci! Effectivement, « Le musée de l’Innocence »est un roman qu’on le lâche pas une fois qu’on y est entré (un peu comme « Belle du seigneur » de Cohen).
    Si je retourne à Istamboul un jour, sûr que j’irai visiter ce musée!

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