L’auberge des nanogénaires

Maison géante pour insectes. Photo: Guillemette de FosIls avaient prévu de passer l’hiver à l’hôtel. Ils trouveraient  là le gîte et le couvert. Les petits encore fragiles échapperaient à la morsure du gel et aux rôdeurs que n’arrête aucun froid de loup. Au printemps, c’était écrit dans le grand livre de la Nature, ils quitteraient l’auberge pour vivre les beaux jours à la belle étoile. Ils s’enivreraient du nectar des fleurs, danseraient la saccade dans les rayons du soleil, s’accoupleraient avec frénésie et  creuseraient  la terre redevenue meuble pour festoyer et embellir les jardins.

Ces chargés de famille nombreuse préféraient  les petits établissements aux palaces.  En bons ressortissants du Royaume de Lilliput, ils abhorraient le gigantisme des édifices à plusieurs dizaines d’étages comme on en trouve aux abords des jardineries. Ils en trouvaient la démesure vulgaire et s’affolaient à la seule  pensée des lavabos et cuvettes s’évacuant simultanément. Non, leur quartier d’hiver n’aurait rien du MGM de Las Vegas ! Ils n’aimaient pas non plus la symétrie alambiquée des architectures de certaines fabriques comme  on trouve dans le Désert de Retz. Ils aimaient la sobriété de l’habitat artisanal, la préférant à la franchise hôtelière et à l’audace monumentale.

Ils avaient choisi ce petit établissement pour son côté douillet et son environnement champêtre. Une ramée d’yeuse en caressait doucement  la façade, avenante et de bon goût. La structure n’utilisait que des matériaux nobles : copeaux de bois, pierres,  terre cuite, paille, briquettes et végétaux divers. Aération, légèreté, solidité, c’était en ce point réunis les atouts des maisons des trois petits cochons. L’hôtellerie offrait tout le confort même si elle n’avait pas d’étoiles, hormis celles qui brillent au firmament.  Et quoique de taille modeste, elle disposait sur trois niveaux d’un nombre incroyable de chambrettes stylisées  de tailles variées. Les unes étaient carrées, les autres tubulaires ou même hexagonales.

Pièces et moindres recoins furent bientôt envahis par des hordes de résidents  paisibles ou turbulents. Chacun s’appropria un pan de l’espace labyrinthique. Au rez-de-chaussée, un groupe de  libidineux prit sans tarder ses aises. A voir ces spumescents se chevaucher en grappes, on eût pris la cabane pour un lupanar. N’y eût manqué que la lanterne du veilleur de nuit s’il n’avait été lui-même retenu à d’autres occupations en cette hivernale saison. Un couple de jumelles folâtres s’installa au premier étage. Impossible de séparer comme de distinguer les guillerettes, ces demoiselles arborant le même nombre de pois noirs sur leur robe écarlate. Maya la solitaire qui cachait ses rondeurs sous une large cape rayée jaune et noire jeta son dévolu sur une chambre hexagonale. En y posant ses valises Vuitton, la rebondie espéra s’épargner les affres du dépaysement. D’ailleurs on lui donna pour voisine d’alvéole une ancienne collègue, comme elle ouvrière de la multinationale Pollinisation. Sûr qu’elles allaient s’entendre et que leurs vrombissements nocturnes ne perturberaient point  leur sommeil  vu qu’ils étaient synchrones. En revanche, ils dérangèrent la colonie de sentinelles qui s’était installée à proximité et qui s’empressa de déménager à la cloche de bois.

L'hôtel de luxe du Jardin des Plantes. Photo: Guillemette de Fos

L’hôtel de luxe du Jardin des Plantes. Photo: Guillemette de Fos

Sensible aux courants d’air, la demoiselle aux yeux d’or prit ses quartiers d’hiver dans une mince encoignure. Cette Marie Laforêt de la cabane n’y jouerait plus de la prunelle à faire damner l’amoureux mordoré qui  lui collait aux élytres. Du moins pas avant le renouveau prochain.

On installa un lit « king size » à proximité de la cuisine pour l’inoffensif brun-roux au surnom peu flatteur. C’était l’endroit le mieux à même de satisfaire ses fringales compensatoires de mal aimé. Les  marathoniens emménagèrent enfin au dernier étage. Ils n’auraient aucune peine à monter les escaliers et pourraient reluquer les jambes velues de la technicienne de surface tout occupée à ravauder sa toile, monter et descendre les  poubelles.

Plus soucieux que Noé embarquant en son arche l’échantillon animalier de la planète, les animateurs de ces  colonies de vacances hivernales avaient réparti judicieusement les chambrées de leurs ouailles. Ici les rampants, là les volants, là-bas les trotte-menu. Les carnivores n’étaient pas au même niveau que les xylophages qui  eux-mêmes ne frayaient pas  avec les coprophages ou les nécrophages.  La cabane était petite, elle n’en respectait pas moins la barrière des espèces. Apportant sa pierre à l’édifice du débat sur la relation entre promiscuité et communautarisme.

L’hiver joua les prolongations si bien que chaque résident fut affublé d’un surnom. On baptisa  « Joyeuse » et « Divine » (adjectif pléonastique) les deux adorables et inséparables bêtes à bon Dieu. On surnomma « Hémoglobine » l’horripilant ectoparasite qui rêvait tout haut chaque nuit d’un lit plus tiède et surtout mieux garni. On appela « Saliveux »  l’obséquieux maître des cérémonies  incestueuses auxquelles s’adonnaient frénétiquement les gastéropodes. Il y avait aussi « Atchoum » et « Prurit », les deux allergisantes sujettes au vertige qui  préféraient camper sur un canapé de fortune plutôt que se glisser dans leur hamac : il était suspendu au dessus du nid du coucou.

La cuisine de l’auberge avait  d’emblée séduit ces armées de mini voraces. Elle était mieux garnie qu’un abri atomique.  On y trouvait plusieurs  essences de bois, du chêne vert au bambou en passant par le pin. Ah le pin… Au rayon « produits exotiques », la cuisine offrait toute une gamme de pommes en provenance de pinèdes  lointaines. Une nuit l’effluve de l’une d’elles excita  la convoitise d’un cambrioleur. De ses doigts aux longs ongles recourbés, notre rat d’hôtel  subtilisa une pomme récoltée à  Jérusalem. Pour le rouquin du pin béni…  Pour l’ensemble des colocataires une grande frayeur car le larcin fit chanceler tout l’édifice. Le tremblement de terre dépassa  9 sur l’échelle de Gulliver mais l’immeuble résista. Il serait prêt à accueillir ses petits pensionnaires l’hiver prochain.

 

Par ordre d’apparition:

Photo: Guillemette de Fos

Photo: Guillemette de Fos

Escargots et limaces
Lampyre (ver luisant)
Coccinelles
Abeilles
Syrphe (mouche butineuse)
Clairons des ruches (ennemis des larves d’abeilles)
Chrysope
Carabe chagriné (sosie du scarabée)
Perce-oreilles
Mille-pattes
Araignée
Punaise de lit
Chenilles processionnaires
Ecureuils

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Une réponse à L’auberge des nanogénaires

  1. MC dit :

    Inspirant!

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