La comédienne et la brodeuse

Photo: Hélène BéchetCannes l’artiste se fait son cinéma, Cannes la star monte les escaliers du Palais du festival, Cannes  fashion  s’habille en soie et en strass. L’homme a l’élégance toujours austère qu’il ne quitte plus depuis que la France égrène ses républiques et la femme s’habille d’un soupçon d’érotisme flamboyant qui convient si bien au festival. La robe éphémère est au rendez-vous d’une soirée unique. Cendrillon se joue à l’envers, les griffes prestigieuses effleurent le tapis rouge du grand escalier, mais dans le noir de la salle de projection, c’est  la star qui s’efface, il n’y a plus qu’une comédienne en habit d’ouvrière, de pute, de bourgeoise ou de paumée. La salle se rallume, la robe vit ses dernières heures, le papillon range ses précieuses ailes, le zip de la fermeture éclair scelle le cocon.

Elle est née des mains magiques d’un couturier qui en a dessiné l’esprit sur une feuille de papier. L’âme viendra plus tard, il faut modeler le tissu, dompter la soie, sculpter la mousseline. La paire de ciseaux crée un puzzle de tissus. Les  rôles sont distribués, il y aura de la dentelle, le col sera tout en  broderie. En haute couture rien n’est fait par avance, tout est créé, on entre dans le domaine des petites mains, de vraies petites machines vivantes extraordinairement rapides, précises.

Celle-là enfile des perles, minuscules billes de verre blanches, ivoires, argentées.

« On utilise du fil à gant mais il résiste difficilement  à l’agressivité des perles qui usent prématurément le fil. Le fil plastique est plus résistant, mais manque de noblesse pour une création de haute couture ! » m’explique Hélène, une « brodeuse ».  Une application de résine fixera l’ensemble.

Détail de l'épaulette. Photo: Hélène Béchet

Détail de l’épaulette. Photo: Hélène Béchet

Elle sort d’une nuit blanche, le col tout en broderie devait être livré ce matin. Quarante heures de travail. «  Dans ce milieu tout devrait être fini la veille du lendemain de la commande, » rire d’Hélène qui poursuit : « Il existe une clientèle richissime pour acheter des robes une fortune. » J’admire l’entrelacs précis des perles et le relief ainsi créé. Je m’interroge, ces robes ne servent-elles qu’une seule fois ? « Je ne sais pas, mais le prêt des robes fait partie de la stratégie de communication des marques! »

«  Elles doivent sans doute resservir. Je sais qu’une robe est revenue de Cannes pour se refaire une beauté,  elle était tachée et la broderie était carrément abîmée… des strass avaient fondu ! » Il y a des actrices qui sont réellement très chaudes, non ?

« C’est l’enfer ces perles, cela le sera davantage encore quand faudra désolidariser la broderie pour être cousue sur la robe. Et ce matin la catastrophe, un fil s’est cassé, j’ai dû improviser une réparation, rien ne se verra ! » Hélène rallume fièrement une énième cigarette. « Une fois une aiguille m’a piqué un doigt une petite bille de sang a roulé sur le tissu. » Accident classique, plus de peur que de mal, « j’ai utilisé le dé pour ne pas tacher à nouveau mon travail ».

La partie broderie est achevée, vite un taxi, vite à l’atelier…Photo: Hélène Béchet

Le col sera délicatement cousu sur la robe, la dentelière qui sans doute a également passé une nuit blanche a remis son travail. On va, on vient, on s’active dans l’atelier de couture. Un avion va décoller.

« Pour moi ce film merveilleux marque un tournant dans ma carrière. Plus rien ne pourra être pareil… ». L’actrice fait son boulot d’après vente en haut des marches du Palais du festival. Vous avez vu sa robe, pas mal, non ?

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3 réponses à La comédienne et la brodeuse

  1. pomme dit :

    Enfilade de perles et de mots – merci pour ce joli texte, Bruno, et bravo à Hélène !

  2. de FOS dit :

    Hommage initié à la parure d’un soir ; je me suis régalée…

  3. Ping : The Actress and the Embroiderer: my translation of an article about my friend Hélène B. | Abigail Saire

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