De SOPI à SOBA : promenade de Pigalle au Paris multiculturel

Façade de la rue des Martyrs. Photo: Lottie BrickertPigalle, on démantibule ton âme ! Où sont les femmes ?  Les bars à hôtesses ferment les uns après les autres et « Les p´tites femmes de Pigalle »  désertent le secteur. Le quartier chaud n’est plus que l’ombre de lui-même, son goût sulfureux s’est affadi. Restent le Moulin Rouge et les sexshops du boulevard Rochechouart, autant dire une vitrine pour les touristes.  Sur ce boulevard, des cars à l’allure de paquebots viennent les récupérer alors qu’ils ont gentiment taquiné les fleurs du mal après un petit tour sur les hauteurs de Montmartre.

Aujourd’hui, c’est SOPI qui tient le haut du pavé. So quoi ? SOPI, South Pigalle.  Eh bien oui, si New York a son SOHO (abréviation de « South of Houston », le district situé au sud de Houston Street) à Paris, nous avons notre SOPI. Cet acronyme aux accents new-yorkais désigne le quartier qui s’étend de l’avenue Trudaine à la rue de Maubeuge en englobant la rue des Martyrs et le boulevard Rochechouart. SOPI est devenu hyper (prononcez « haïper ») branché. Enfin,… « haïper » cool. Le terme « branché » n’est, paraît-il, plus branché.

le coffee shop Kooka Boora (angle rue des Martyrs/avenue Trudaine). Photo: Lotiie Brickert

Le coffee shop Kooka Boora (angle rue des Martyrs/avenue Trudaine). Photo: Lottie Brickert

Les nouveaux commerçants rivalisent de créativité pour transformer les anciens bars en espaces originaux au design contemporain ou volontairement désuet.  Dans les rues de SOPI, boutiques de déco et de fringues in alternent avec cafés et restaurants bobo sans oublier les boulangeries ou fast-food bio. La clientèle trendy suit le mouv’ à moins qu’elle ne le précède, difficile de dire qui incube qui.  La journée, biobos et hipsters, plongés dans leur Macs, tablettes et smartphones, peuplent les terrasses et fauteuils des coffee shops. Le soir, on les retrouve dans les bars trop fun de SOPI. On s’y presse, on s’y colle, on y affiche son look arty, on prétend que « ça déchire » mais en réalité, c’est « haïper » propret.

Où sont les bars louches d’antan ? Où sont les femmes ?  Pigalle a perdu sa flamme.

Tout passe, l’énergie des quartiers populaires fout le camp. Heureusement, il reste Barbès. A une encablure de l’avenue Trudaine, Barbès- Rochechouart, c’est l’anti-SOPI : un quartier pluriel, plus divers, plus cosmopolite et pas tendance du tout ou … du moins, pas encore.

Bars d’un autre temps, devantures fatiguées, marchés exotiques, vitrines obstruées par des alignements vertigineux de wax (tissus) africains, odeurs de fruits trop mûrs mixées de thé à la menthe, Barbès reste Barbès.

Institut des cultures de l’Islam, rue Stephenson. Photo: Lottie Brickert

En 2001, la mairie avait pourtant tenté de ripoliner certains secteurs en favorisant l’installation de boutiques-ateliers de créateurs notamment rue des gardes, au cœur de la Goutte d’Or. L’expérience a fait long feu et la métamorphose n’a pas eu lieu. La plupart des créateurs sont repartis vers des zones plus commerçantes.

Mais avec ou sans boutiques-ateliers de créateurs, le cœur de la culture populaire continue à battre.  Il bat même très fort en différents endroits de la rue Léon. Au numéro 35, le Lavoir Moderne Parisien, un ancien lavoir restauré dans les années 80, est l’une des seules salles de spectacle de la Goutte d’Or. Il a fait beaucoup parler de lui récemment car il a accueilli dans ses combles le camp d’entraînement des Femen. Le Lavoir est malheureusement menacé de fermeture. L’association qui le gère a été mise en liquidation et son nouveau propriétaire a d’autres idées en tête pour rentabiliser l’endroit. Des habitants de la Goutte d’Or se battent pour préserver cet endroit jugé d’utilité publique.

Autre institution culturelle de la rue Léon, l’Olympic café, ouvert en 2008. Un café-brasserie avec un bar et, au sous-sol, une salle de concert à la programmation éclectique : jazz, rock, … et beaucoup de musique du monde. Ici ni bobo attitude ni étalage d’ordinateurs. Comme le dit un client : « L’Olympic c’est un lieu décomplexé, un lieu alternatif où se mélangent les cultures ».

Goutte d’Or, boutique de créateur, rue des gardes. Photo: Lottie Brickert

En face de l’Olympic café, se trouve le bâtiment d’origine de l’Institut des Cultures d’Islam, qui s’est doté d’un second édifice rue Stephenson, récemment. Ateliers, café, hammam, expositions, son ambition est de faciliter l’accès des pratiques culturelles à des publics qui en sont éloignés. A noter : jusqu’au 27 juillet, l’intéressante exposition « Et pourtant ils créent ! » accueille les œuvres de plasticiens contemporains syriens qui s’interrogent sur la place prise par la violence dans leur création depuis la révolution syrienne.

On l’aura compris, Barbès est différent du reste de Paris. Et si le prix du mètre carré monte ici aussi, il reste encore moins cher qu’ailleurs attirant de nouveaux habitants plus aisés.

On peut se demander pendant combien de temps encore Barbès va résister à la boboïsation.  Y a-t-il vraiment un risque que SOBA (South Barbès) devienne « haïper cool » prochainement ?

The new Oh Chocolat, Restaurant basque avenue Trudaine. Photo: Lottie Brickert

The new Oh Chocolat, Restaurant basque avenue Trudaine. Photo: Lottie Brickert

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6 réponses à De SOPI à SOBA : promenade de Pigalle au Paris multiculturel

  1. So-Good, merci Lottie de cette mise en garde! Des quartiers changent, oui, nous l’observons. Souvent dans le mauvais sens, dans le commun, le banal, le « déjà vu ». Je constate cela dans le quartier de la Mouffe également. Redoublons de vigilance auprès de nos élu(e)s sur ce qu’ils projettent. Et l’Europe dans tout cela? Avec ses cars inadaptés à cette ville du beau Paris! On fait quoi? Allez, on vote tout de même. Amitiés. Denis D.

  2. Bruno Sillard dit :

    C’est marrant, il est de noms ignorés la veille, et qui reviennent dans les discussions le jour d’après.
    Je pense au SoPi par exemple. Enfin cela dit, il ne faut pas trop fantasmer sur les bars à filles (Où sont les bars louches d’antan ? Où sont les femmes ? Pigalle a perdu sa flamme.) On y allégeait peut-être le pigeon de 7 ou 800 euros, mais combien les filles gagnaient sur les bouteilles de mauvais champ?

  3. Raymond dit :

    Merci à Lottie de nous faire partager le doux sentiment de nostalgie que l’amoureuse de ce quartier doit ressentir à la vue de son évolution. Mais peut-on résister à la triste javellisation de notre temps ? O tempora, o mores…

  4. SuPi (Sud-Pigalle) et SuBa (Sud-Barbès) auraient été des apellations trop locales (pardon, des local rebranding) …
    misère…
    Lorsque Paris sera complètement anglicisée, Montréal sera la première ville francophone.
    jjc_Mtl

    • troll dit :

      Les hipsters bobo aiment bien ajouter So partout, so trendy, so cosy, so quinoa, so cupcake, so coffeshop, so truck food, so ceci so celà, donc Sopi ça colle bien à leur trucs…

  5. g dit :

    sopi, soba! c’est pas une chanson des gypsy king?

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