Jusqu’au septième trou

Balle de golf. Photo: Les Soirées de ParisPour un golfeur timide, rien de tel qu’un lundi de novembre bruineux, gage de parcours désert. A l’abri des regards la balle peut bien s’en aller percuter par mégarde la station spatiale internationale ou plus sûrement faire un bond de trois centimètres après avoir décollé une motte de terre de la taille d’un pied, cela n’a aucune importance. C’est le témoin qui, en effet, fait le bon ou le mauvais golfeur.

Depuis qu’il n’était même plus en vue du club house, celui-là prenait ses aises avec les règles de base et repositionnait sans scrupule ses balles, si elles étaient par trop mal placées pour la suite. L’essentiel était dans le plaisir, pas dans la difficulté, considérait-il avec une complaisance un peu coupable eu égard à ses gènes de chrétien bon teint.

Tout à son plaisir justement, il finit par arriver au septième trou qui avait d’une part la caractéristique d’une baignoire sabot avec le fanion en contrebas du départ et, d’autre part, de border une petite route en principe fréquentée par de très rares automobiles.

Alors qu’il avait posé son sac et enfoncé en terre le support que l’on appelle un tee pour y poser sa balle, il aperçut sur la route un promeneur. Lequel vit immédiatement dans son prochain, juché en amont de la butte, une occasion de se distraire.

Le golfeur surpris dans son désir de jouer discrètement n’y vit qu’une guigne et décida d’attendre que le piéton malvenu se décide à s’en aller. Afin de mieux le lasser il sortit un chiffon pour lisser et lisser encore son club. Comme le stratagème ne suffisait pas il fit mine de mûrir sa perspective de tir et prit pour ce faire un temps considérable.

Toute cette mise en scène fut contreproductive. Le badaud fut en effet persuadé qu’il avait affaire à un champion d’une rare espèce et quitta la station debout pour s’asseoir et d’autant mieux profiter de l’aubaine.

Illustration: Les Soirées de Paris

Illustration: Les Soirées de Paris

Le golfeur entrevit sa journée gâchée à cause de ce gêneur. Il voyait d’avance sa balle partir à tribord toute et pire, finir en guano sur la tête de ce spectateur importun. La grâce légère qui l’habitait depuis le début du parcours se changea en humeur et sa tension monta d’un cran. Il pesta contre son émotivité et se résigna au ridicule en prenant position, les épaules bien affalées  comme on lui avait appris.

Le « poc » occasionné par le choc du fer sur la balle fut pourtant de bon augure et, après une parabole en cloche, le projectile s’en alla terminer à moins d’un mètre du trou comme diligenté par un canon laser. Le golfeur timide n’en crut pas ses yeux tandis que le promeneur de son côté se voyait conforté une fois de plus dans la fiabilité de son flair, la sûreté de son jugement.

Passé un bref moment de stupeur, le joueur se décida à adopter une attitude de champion d’apparat telle qu’il la fantasmait souvent. Il descendit vers le trou avec une décontraction de tireur d’élite blasé par sa propre adresse.

Arrivé près de l’objectif, toujours touché par une grâce venue du ciel, il ôta le fanion et frappa la balle avec douceur. Elle roula vers le trou, minauda quelques secondes sur le bord et se laissa choir avec la docilité d’une starlette en jupons sur un canapé.

Retourné dans l’anonymat du parcours, notre golfeur retrouva plus tard ses aises et la médiocrité satisfaite de son jeu, mais il raconte toujours des années après et à qui veut bien l’entendre, son bref passage en championnat international.

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4 réponses à Jusqu’au septième trou

  1. de FOS dit :

    Trop drôle ! Merci pour ce moment de gaité. Je fais suivre à l’entourage golfeur.

  2. Alban Roussot dit :

    Bien vu, bien dit,bien senti,beau toucher de mots.

  3. Frédéric MAUREL dit :

    Plaisant !

  4. Jip dit :

    Le public semble indispensable !

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