Le diable s’habille en étiquette (remove before wearing)

Photo: Guillemette de FosAccrochés à vos basques, ces petits rectangles rugueux vous pourrissent la vie. Cousus au dos des encolures, agrippés aux revers des cols, ils eussent jadis été utiles à Dagobert pour lui signifier l’endroit de l’envers. Mais aux allergiques, ces tronçons urticants ne servent qu’à apprivoiser l’enfer.

Car le diable s’habille dans ces menus détails textiles qui produisent sur le derme  les ravages de la toile émeri.  Qu’elles effleurent  à peine la peau, et voilà ces minces bandes d’étoffes râpeuses plus douloureusement  ressenties que le petit pois sous la couche de la princesse.

Et que celui qui n’a jamais été importuné par ces quadrangles  poils-à-gratter me jette le premier lé !  Ca commence par une gêne fugace. On pense à une miette de pain, un moucheron, une aiguille de pin… On éprouve l’envie furieuse de s’en abstraire, de s’en disjoindre, de s’en décoller d’un  brusque geste d’évitement des épaules (un tic  permanent d’esquive popularisé au plus haut niveau de l’Etat).

Puis  avec l’irritation, vient l’irrésistible besoin de se gratter, de se frotter, de se scarifier même. Très vite, la démangeaison tourne à  l’obsessionnel . Le besoin de se rayer le dos, l’omoplate ou la cuisse se fait irréfragable malgré l’œil  effaré du voisin de table ou de ciné qui s’inquiète de possibles débordements animaliers d’une hospitalité promiscue…  Il est  déjà trop tard quand le vêtement est retiré en fin de journée,  le coupon maudit a sur le tégument  posé sa griffe démoniaque. Une trace sanglante comme au lendemain d’un jour de vaccination. Et gare à l’inconscient qui remettrait le couvert : sa cuti deviendrait  eczéma purulent.

On s’interroge alors sur ce matériau démoniaque dont les étiquettes sont faites.  On le suppose extrait  au diable vauvert  d’une planète malfaisante par de sadiques petites mains vertes…

Photo: Guillemette de Fos

Photo: Guillemette de Fos

Comme les ennuis volent  en escadrilles, voilà qu’avec la RFID*, ces bouts  de tissu diaboliques  se fichent  en grappes dans nos  coutures !  Le satané mille-feuilles  s’enfonce dans nos ourlets   mieux que les pattes de tique dans un pli cutané. On n’arrête pas le prurit quand de maudites machines à coudre se piquent de perversité…

On sait l’enfer pavé de bonnes intentions.  Ici, aucun dessein intelligible puisque ces vignettes parlent  chinois (indien ou taïwanais). La seule solution consiste alors à s’en débarrasser vite fait.

D’ailleurs, remove before wearing (enlever avant de porter) commandent celles  munies d’une puce électronique. Le mot  à lui seul donne envie de se démanger.  Satan a de ces raffinements sémantiques…

Le comble de l’énervement est  atteint lorsqu’il faut  éliminer l’accessoire cousu de fil blanc sans entamer le principal ; surtout s’il est en cachemire, en dentelle ou en soie.  On enrage de savoir la vignette mieux rivée à l’habit que le moindre bouton qui se fera la malle à la première occasion.  Séparer le bon grain textile de l’ivraie urticante est une opération  fastidieuse et délicate. Elle nécessite l’emploi d’outils de précision (cutter, ciseaux à ongles et  pince à épiler), ainsi qu’une overdose de patience. C’est un job d’été à temps plein : en mode estival, la garde-robe se porte à même la peau.

Une fois le retrait opéré, le supplice n’est pas terminé pour autant.  Les coupons maudits se trouvant dotés d’une électricité statique démoniaque,  la moquette est bientôt jonchée de pluches et autres miettes textiles indésirables. Avant de se faire la plus belle pour aller danser, Madame devra  passer l’aspirateur. Il est vrai qu’avant de rencontrer son prince, Cendrillon était technicienne de surface et de nos jours sa fée s’appelle électricité.

Mais foin du conte de fée ! Je lance ici une pétition : Erythèmes de tous les pays, unissez-vous, dites non à ces  ingrates étiquettes crampons !

*Système de mémorisation et de récupération des données à distance (de l’anglais radio frequency identification)

 

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6 réponses à Le diable s’habille en étiquette (remove before wearing)

  1. Desailly dit :

    Guillemette, merci, bravo! Je signe cette pétition. L’effet d’une étiquette qui rebique chez les autres me met dans un drôle d’état. Une indéfinissable envie de rétablir le bon positionnement, d’intervenir au plus vite pour « cacher » cette appendice. Bref, ne lâchons rien, comme disait E. Martin. Les naturistes ont bien de la chance! De l’éthique, pas d’étiquette! Denis D

  2. Je connaissais quelqu’un qui n’avait pas son pareil pour extraire d’un problème mondial une application au quotidien et d’une question minuscule mais réelle, en tirer une conséquence universelle. Dans cet esprit, le soulagement d’une démangeaison peut aller très loin, si l’on y réfléchit bien. PHB

  3. Lottie dit :

    Merci Guillemette pour cette pétition pleine d’humour. Enfin une personne compatissante qui non seulement comprend les problèmes de gratouille de certains mais qui en plus essaye de les résoudre.
    Je n’irais pas jusqu’à faire de la pub pour une chaîne de vêtements qui fait travailler les ouvriers des pays asiatiques dans des conditions déplorables mais je reconnais qu’ils ont eu une bonne idée le jour où ils ont décidé de tatouer leurs tee-shirts au niveau du col.

  4. Bégard Joëlle dit :

    Que dire de plus? Bravo pour ce billet d’humour qui traduit excellemment le ressenti de tous ceux et celles qui, comme moi, pourfendent lesdites étiquettes.
    Je signe la pétition.

  5. Bender Françoise dit :

    Bravo et merci.
    Ces étiquettes déclenchent de l’eczéma, unissons nous contre ces étiquettes.
    Il serait bien de pouvoir acheter des habits sans étiquettes.
    Françoise

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