Perdu

Le labyrinthe. Illustration: Les Soirées de ParisL’inspecteur Jaulin n’était pas de l’espèce à se laisser mystifier. Aussi, lorsque le gardien du parc lui proposa aimablement de l’accompagner jusqu’à l’entrée du château, il lui répondit avec moins de courtoisie, qu’il n’avait pas besoin qu’on « lui tienne la main ». Et c’est d’un pas vif qu’il s’était engagé dans la double allée de troènes. Quarante minutes plus tard il y était encore.

Il avait garé sa Renault Frégate modèle 56 juste devant la grille car il n’était apparemment pas prévu d’accès aux voitures. Il ne pouvait pas savoir que c’était possible en longeant davantage l’enceinte du parc. Il s’était donc résolu à gagner le château à pied avec l’idée de griller une gitane dans le fin brouillard qui enveloppait les lieux. Il était là pour une sombre histoire de droit de suite: une huile locale avait saisi la justice. À part la distribution de quelques horions entre le propriétaire et le plaignant, il avait par avance, l’intention de faire classer cette affaire réservée aux riches.

Après avoir parcouru une belle ligne droite tout en songeant au pari « placé » qu’il avait pris dans la matinée, il s’engagea dans une série de virages à droite puis à gauche qui le fit revenir deux fois de suite au pied d’une sorte de pavillon à musique juste encombré de trois chaises de jardin.

Gagné par un léger énervement, il se jucha sur une chaise, dans l’idée d’obtenir un point de vue qui lui permettrait de se repérer, mais la hauteur des haies qui n’étaient pas toutes composées de troènes mais de buis, constituait un obstacle.

Il se rappela avoir été piégé un jour dans le labyrinthe d’un jardin d’agrément bien moins étendu que celui-là et qu’un jardinier amusé lui avait conseillé de suivre toujours le même côté, gauche ou droite, en laissant traîner sa main sur le feuillage. Il avait aussi eu l’occasion de se perdre dans le bois guyanais, mais il s’en était sorti et, ce n’était pas un jardin à la française taillé par un névrosé, qui allait lui en imposer.

Après avoir suivi méthodiquement le côté droit qui lui fit découvrir de nouveaux embranchements, il finit par retomber sur le kiosque et ses chaises de jardin. Ayant lâché trois jurons où il était beaucoup de question de vérole et de défécation, l’inspecteur Jaulin changea son fusil d’épaule et pris l’allée du centre en serrant à gauche.

Comme le temps passait plus longtemps avec ce dernier itinéraire, il sentit la partie gagnée et accéléra le pas. Il vit même un balai oublié sur le côté et fut satisfait de ne l’avoir jamais croisé. Ayant aperçu plus loin une brouette elle aussi inédite, il se dit que décidément il tenait le bon bout, lorsqu’il vit réapparaître dans le brouillard tenace la structure métallique du pavillon et de ses trois chaises. Sa montre lui indiqua que près de quarante minutes s’étaient maintenant écoulées.

Il avait un peu chaud et cette affaire lui donnait le tournis. Il ferma son col de pardessus, ajusta son écharpe autour du cou, prit une chaise pour s’asseoir et une autre pour allonger les jambes, comme il faisait au bureau. Quelqu’un finirait bien, se disait-il avec une sagesse quelque peu contrainte, par venir le chercher.

Le labyrinthe. Illustration: Les Soirées de Paris

Le labyrinthe. Illustration: Les Soirées de Paris

Le soleil qui tentait de s’infiltrer conférait aux aîtres une allure un peu irréelle mais, celui que ses jeunes confrères traitaient facilement de vieux con en son absence, n’était pas sensible aux ambiances. Jaulin était un homme terre à terre, qui croyait à des valeurs stables comme le tiercé, l’apéro, le vélo deux plateaux, le cassoulet à la graisse d’oie et les vacances au Pyla.

Enfin il entendit une sorte de pas et vit apparaître un cheval. Non sellé, l’animal marqua d’abord un temps d’arrêt et considéra l’homme avec un flegme que l’on sentait teinté d’une certaine bienveillance. Interdit et même un peu ébranlé par l’apparition, Jaulin crut bon de descendre les pieds de la chaise comme si le président du Conseil lui-même, l’éphémère Félix Gaillard, venait de surgir dans son costume deux-pièces avec sa coupe en brosse et sa paire de lunettes. Il écrasa son mégot sous sa semelle puis attendit.

L’équidé s’avança lentement comme s’il ménageait ses effets. Il s’approcha de l’homme à le toucher. De ses naseaux sortait une buée en volutes comme une restitution légitime du brouillard inhalé. Puis sans plus de manières il fit demi-tour et s’éloigna à pas lents. L’inspecteur faillit lui crier de l’attendre mais il se leva sans un mot et le suivit. Dix minutes après seulement, le perron du château était enfin en vue.

En pantalon de golf, le propriétaire du château s’avançait déjà la main tendue. Il parlait de loin en alternant les « ah cher monsieur » et les « ah cher ami ».

Quand il proposa à Jaulin un porto au salon pour l’y rasséréner, ce dernier jeta un coup d’œil à sa montre et vit qu’effectivement il allait prendre du retard sur l’apéro. Pas trop porté sur le vin liquoreux, il acquiesça néanmoins avec un « pas de refus » dont la sincérité fit briller de malice le regard du châtelain.

Illustration: Les Soirées de Paris

Illustration: Les Soirées de Paris

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Une réponse à Perdu

  1. jmc dit :

    Qu’est-ce qu’il ne faut pas faire, parfois, pour parvenir au réconfort de l’apéro, cette valeur stable. (Et l’on ne parle pas du cassoulet à la graisse d’oie).

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