La Traviata à l’Opéra Bastille, Ermonela fait oublier Maria

Photo de l'affiche: Guillemette de FosIl ne reste plus que quelques jours pour aller applaudir -debout- Ermonela Jaho dans La Traviata à l’opéra Bastille. La vaillance et la richesse du timbre de la soprano originaire d’Albanie épousent la gamme des sentiments qu’éprouve Violetta, l’héroïne du mélodrame composé par Verdi. A sa création, La Traviata (« la dévoyée » en italien) fut pourtant un fiasco, qui plus est risible. En grande partie en raison d’une composition musicale originale – à la fois théâtrale, elliptique et heurtée – et d’une distribution inégale. C’est devenu depuis l’un des plus célèbres opéras du compositeur italien.

Vivant aux côtés d’une femme libre et indépendante, Verdi n’avait pas été insensible au sort de Marguerite Gautier, l’héroïne de la pièce de théâtre qu’Alexandre Dumas fils tira de son propre roman La dame aux camélias. Une histoire d’amour tragique entre un bourgeois nanti et une demi-mondaine atteinte de la tuberculose. Verdi avait alors chargé Francesco Piave d’en écrire le livret. Un livret dont le script s’affranchit à Bastille, supprimant ses quatre dernières phases. Pour ce qui nous concerne, c’est sans regret tant elles paraissent superflues, voire incongrues. Laissons à Violetta le dernier mot comme le dernier soupir.

Avec son timbre céleste, son filet de voix cristal Murano qui menace en tous points de se rompre, son souffle d’agonisante brisé renaissant tel l’oiseau légendaire, Ermonela possède « cette voix qui perle et qui filtre » qui subjugua le poète. Peu d’artistes lyriques possèdent pareil organe qui n’a nul besoin de mots pour dire les plus longues phrases, surtout quand le ridicule des mots tue plus sûrement que la tuberculose… Ses reprises de souffle sont époustouflantes, son échelle musicale étirée épouse la gamme des joies et tourments de Violetta : insouciante gaîté de la fête, ressenti du premier émoi, passion à la torrentueuse résilience, douleur éperdue du sacrifice, souffrance de la trahison, long supplice de l’agonie phtisique. Une phtisie qui n’a rien de galopante !

Photo: Guillemette de Fos

Photo: Guillemette de Fos

Ermonela Jaho doit en partie sa renommée internationale à son interprétation du rôle de Violetta, joué à l’opéra de Lille en 2007. Elle était alors âgée de trente trois ans. La chanteuse semble s’être coulée dans le moule de la courtisane au point d’en éclipser l’interprétation – pourtant magistrale – qu’en fit son aînée La Callas avec un grain de voix plus bas et une tessiture plus rauque. Mais alors que la Grecque expirait debout sur la scène, l’Albanaise agonise alitée. Une prouesse physique d’autant plus remarquable que le trépas joue les prolongations à n’en plus finir.

On ne peut s’empêcher de songer à la célèbre formule de l’oraison funèbre que Bossuet prononça au décès d’Henriette d’Angleterre « Madame se meurt, Madame est morte ! ». Un bien curieux rapprochement de décès dans la fleur de l’âge entre une fille publique et une femme vertueuse de double lignée royale ! Disons que le costume y est pour quelque chose.

A l’époque de sa création, La Traviata s’était vue refuser par la censure d’être jouée en costumes contemporains ; l’action avait été transposée à l’époque Louis XIV. Un temps où les favorites passaient mieux que les Grisettes…

La Violetta de la Bastille est costumée de noir ou de blanc, loin des « retentissantes couleurs » dont Baudelaire pare les femmes galantes. Mais l’habit ne fait pas l’organe. On retient son souffle quand Violetta soliloque ses lamentos (« Une jeune fille pure ») ou entonne un duo avec le baryton russe Dmitri Yvorostovsky qui joue le père de son amant (« Supplice inhumain »). Leur entente vocale est manifeste, on guette leur apparition. Le fait que tous deux se soient produits à Londres, à New York et à Munich n’est probablement pas étranger à leur symbiose.

Si l’orchestre et les chœurs de l’opéra national de Paris Bastille livrent une prestation musicale impeccable, la mise en scène signée Benoît Jacquot s’avère un peu décevante. Réalisateur de films à costumes (Tosca, Les adieux à la reine…) et metteur en scène de Werther au Covent Garden de Londres, le cinéaste français fait ici montre d’une piètre inventivité. Sa scénographie est il est vrai desservie par la démesure de la scène. Malgré son envergure et son gigantisme, l’arbre ne cache pas la forêt. Quant au théâtral lit à baldaquin, il fait l’effet d’un jouet pour enfant depuis l’orchestre ! Seule trouvaille scénique à porter au crédit du cinéaste, ces rubans couleur de sang qui giclent concomitamment d’un taureau blessé à mort par des picadors. Dommage, l’image est si furtive qu’elle échappe à certains spectateurs !

Jusqu’au 12 octobre

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2 réponses à La Traviata à l’Opéra Bastille, Ermonela fait oublier Maria

  1. Bruno Sillard dit :

    J’ai adoré, c’est simple j’ai euh ben adoré, y compris la mise en scène, les chœurs hommes , gris lointain que symbolise bien le rejet de la demi-mondaine du monde. Depuis un an avec une amie, je me suis replongé dans l’Opéra, et pour l’instant ce n’est que du bonheur. Je signale quand même les projections spéciales des Opéras de la saison dans des salles de cinéma des circuits UGC et Gaumont. On m’en a dit beaucoup de bien.

    • de FOS dit :

      Merci Bruno pour ton décryptage des hommes (du choeur) en gris, statiques comme s’il s’agissait de personnages en carton. Mais je persiste et signe, je pensais Benoît Jacquot mieux inspiré au niveau mise en scène. Quoiqu’il en soit, je suis d’accord, ce fut une mémorable prestation.

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