Katabokashi sur makimono

"Lune dans les nuages". Peinture exposée au musée Cernuschi. Photo: Les Soirées de ParisCe n’est pas la plus ancienne de l’exposition mais subjectivement c’est la plus belle. Cette pleine lune peinte « dans les nuages » sur un kakemono (rouleau vertical), est due au talent d’un certain Suzuki  Shönen (1849-1918). Les nuances de ses lavis or, jaune ou bleu délivrent une poésie picturale céleste autant que réussie. La peinture japonaise est à l’honneur du Musée Cernuschi jusqu’au 11 janvier.

« Au fil des saisons » est une exposition discrète, délicate et distinguée qui va bien au Musée Cernuschi, à l’orée du parc Monceau. Elle part de l’empathie naissante des Japonais à l’égard de la nature, concomitamment à l’influence du néoconfucianisme chinois au cours de l’époque d’Edo (1615-1868). Il en ressort un mouvement pictural initié par des intellectuels japonais, courant que l’on dénomme Nanga (peinture du sud) ou Bunjiga (peinture de lettrés).

Cet essor se fait dans des conditions difficiles puisque qu’à cette époque, le Japon est un pays officiellement fermé, à l’exception des comptoirs hollandais et de dérogations accordées à quelques navires chinois. Cette interdiction sera levée en 1720 par le Shogun Togugawa.

L’exposition nous dévoile écoles et courants qui ont caractérisé l’engouement des peintures paysagères et animales au fil des époques japonaises. On y apprend aussi beaucoup de choses sur les symboles comme celui de la longévité, incarné par la grue. Le musée nous montre à ce propos un bien jolie paire de paravents où l’on voit ces hauts oiseaux finement dessinés, par ailleurs réputés pour être porteurs d’heureux présages.

Aspect de l'exposition "Le Japon au fil des saisons". Photo: Les Soirées de Paris

Aspect de l’exposition « Le Japon au fil des saisons ». Photo: Les Soirées de Paris

Parmi les enseignements délivrés sur l’itinéraire scénographique, figurent les différents supports exploités par les artistes. Ainsi, l’opposé du kakemono est le makimono qui se déroule horizontalement. De même que le paravent, cloison à tout faire, est appelé Byôbu.

La fabrication de l’encre (sumi) est tout un art, à l’instar d’ingrédients comme le nikawa (colle organique) ou le kindei-gindei, ces fameux lavis d’or et d’argent qui personnalisent si bien les compositions telle que « La lune dans les nuages », dernière et superbe pièce du parcours. Dans le même ordre d’idées il y a les kinpaku, des feuilles d’or encollées qui servent à constituer des fonds, notamment sur les paravents.

Les techniques stylistiques sont de leur côté surprenantes, comme le mokkotsuga, un procédé consistant à créer un motif « sans le cerner d’un contour linéaire » et plus étonnant encore la « technique des rides » autrement appelée shunbo, caractérisée par des traits plus ou moins longs destinés à suggérer le volume, la texture des montagnes des rochers ou des arbres. Et c’est sans compter le katabokashi, une technique qui se traduit par « estompage de la forme » qui consisterait (sous réserve de meilleure expertise…) à faire le siège du motif, hors papier donc, ce qui permet de mieux valoriser le sujet.

Les 60 oeuvres présentées proviennent de la collection américaine de Robert et Betsy Feinberg. C’est, nous dit-on, « l’une des plus importantes en dehors du Japon, (qui) a été constituée par ce couple d’amateurs américains à partir des années 1970 sur la suggestion initiale de la soeur de Betsy Feinberg, alors conservateur d’art japonais au Brooklyn Museum, à New York ».

« Au fil des saisons » fait partie de ces expositions qui nous extirpent avec bonheur de tout ce qui nous accable. Les travers impératifs et quelque peu hystériques de la société moderne échouent comme autant de baudruches dégonflées à l’entrée du musée. Les peintres japonais prenaient leur temps pour saisir à leur façon la nature et nous, prenons du temps pour admirer leur travail délicat. Il est bon d’être l’un des maillons de cette cohérence qui s’étale dans le temps jusqu’à nous.

PS : On gagnera à ne pas sortir du musée sans avoir jeté un œil aux collections permanentes. Comme au musée Guimet, certains objets tels les récipients chinois pour boissons fermentés, nous stupéfient encore, trois mille ans plus tard par leur audace et leur modernité.

Jusqu’au 11 janvier

Détail de "La lune dans les nuages" par Suzuki Shönen. Photo: Les Soirées de Paris

Détail de « La lune dans les nuages » par Suzuki Shönen. Photo: Les Soirées de Paris

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2 réponses à Katabokashi sur makimono

  1. Marie dit :

    Merci de nous donner une nouvelle bonne raison d aller dans cet endroit d une rare qualité.

  2. Kake mono dit :

    Merci pour cet article ; )

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