A la porte de George Dandin

Pierre Hancisse, Claire de La Rue du Can. © Christophe Raynaud de LageQue l’on aime cette pièce méconnue de Molière : un paysan aisé, George Dandin, s’est marié avec une jeune aristocrate sans le sou, Angélique. Mais très vite il se trouve rabroué par la belle famille De Sottenville : « ne vous déferrez-vous jamais avec moi de la familiarité de ce mot de ‘belle mère’, ne sauriez-vous vous accoutumer à me dire Madame ». À l’humiliation sociale s’ajoute la déception amoureuse car un blondin de la cour trouve bon accueil auprès d’Angélique. Elle explique à Dandin qu’elle refuse de « s’enterrer dans un mari ». Cette étrange pièce répète par trois fois le même canevas : le mari surprend les amants, veut les confondre en appelant les parents et se retrouve inexorablement pris à son propre piège. L’ombre du cocuage plane sur notre paysan et la farce n’est jamais loin de basculer dans la tragédie.

Hervé Pierre, dans sa mise en scène au Théâtre du Vieux-Colombier, a choisi. Ce sera la tragédie et adaptée dans un XIXe siècle champêtre, sans que la nécessité de ce voyage dans le temps soit tout à fait justifiée. Le troisième acte s’ouvre par une célèbre scène de nuit et se clôture par la vision de l’héroïne, piégée à la porte de chez elle par son mari excédé. Angélique retourne pourtant une nouvelle fois la situation en sa faveur et c’est Dandin qui se trouve finalement de l’autre côté de la palissade. Ce décor est sans doute la plus belle trouvaille de la mise en scène. Des planches de bois légères et ajourées sont montées ensemble pour former un immense mur. Relevé, il laisse voir une cabane à échelle, propice à toute sorte de jeu du guet et de quiproquo. Une fois baissé, on distingue toujours les protagonistes comme des oiseaux tristes dans une cage mal ajustée. Des planches qui disent quelque chose du mur d’incompréhension qui s’élève entre les deux époux car hélas nos oiseaux ont bien de la peine à s’accorder un peu.

©Christophe Raynaud de Lage / collection Comédie-Française

©Christophe Raynaud de Lage / collection Comédie-Française

De l’ensemble du spectacle sourd une profonde mélancolie. Les valets (Pauline Mereuze et Noam Morgensztern, tout à fait remarquables) donnent un souffle bienvenu à une pièce dont le tempo général paraît bien lent. C’est particulièrement sensible à l’acte I, le temps de se chauffer peut-être ? Les passages chorégraphiques entre chaque acte qui auraient pu restituer un peu de la gaieté d’origine sont décevants car trop brouillons. Enfin, le jeu de Jérôme Pouly dans le rôle de Dandin est pour nous une question. Le comédien est pourtant rodé à la pièce, il jouait déjà le rôle du valet Lubin dans la mise en scène de Catherine Hiegel, dans le même théâtre, en 1999. Mais dans la peau du mari cette fois, il évolue peu au fil de la pièce. Il nous livre un Dandin plein de bon sens paysan mais toujours enveloppé de tristesse.

La dernière réplique de la pièce, profondément tragique, lui donnerait raison et pourtant, lui manque peut-être l’énergie des grands malades moliéresques. Car après tout ce George Dandin qui s’adresse à lui-même pour s’admonester est un peu du même bois que ces autres fous-là. Sa partenaire, Claire de la Rüe du Can, est plus convaincante, successivement légère, pathétique, rebelle et agaçante : elle proclame avec feu la célèbre tirade sur le mariage forcé et revendique son désir de liberté.

Hervé Pierre s’attaquait à un texte redoutable sans doute, une sombre comédie dont le genre hybride est plus que déconcertant. On aimerait aimer ce Georges Dandin des Français mais nous aussi, il nous a laissé à sa porte.

George Dandin, au théâtre du Vieux-Colombier, jusqu’au 1ier janvier 2015, 1h 30

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