Le Châtelet c’est Broadway

Disque d'un américain à Paris. Source image: GallicaUn Américain à Paris, PREMIERE MONDIALE : en France, toutes les télévisions, toutes les radios et tous les journaux qui comptent au moins un demi-mélomane dans leurs effectifs, l’ont trompeté haut et fort avant qu’advienne le grand jour du 22 novembre. Il fallait qu’on le sache, qu’on le répète, qu’on le colporte : c’est bien à Paris qu’était présentée la première mondiale d’une création inédite, la comédie musicale qui tire son nom de l’œuvre éponyme de George Gershwin.

Cette fierté était loin d’être illégitime : réjouissons-nous d’avoir un théâtre, Le Châtelet, qui s’engage dans des défis ambitieux et qui sait prendre le risque d’un partenariat international pour monter ainsi une pièce illustre dans le registre tant musical que cinématographique. Ne serait-ce que pour ça : premier bravo mérité.

Par les étranges hasards d’une réservation Internet, nous nous sommes trouvés à assister à la fameuse première présentation de la première mondiale de la comédie musicale inédite… Et, en effet, hormis Gershwin, aucun goût de déjà vu sur scène.

La comédie musicale est un art subtil – casse-gueule ? – qui doit trouver sa voie hors de toutes les références qui pèsent sur le genre. Honorer la musique de Gershwin sans tomber dans l’éloge académique. Se faire une place hors des empreintes laissées par Vincente Minnelli, Gene Kelly et Leslie Caron. Garder la pétillance. Oser l’inventivité. Ajouter une bonne touche d’audace. La recette n’est pas simple mais aux ingrédients de choix, le chef a apporté l’art et la manière. Le plat est savoureux, lumineux, léger.

Christopher Wheeldon, metteur en scène et chorégraphe, est un véritable créateur. Il lui a fallu trois ans pour concocter « son » Américain à Paris. Il s’est entouré d’une foule d’artistes de talent. Il ne voulait aucun répit dans la musique, sans pour autant saturer l’écoute. Rob Fisher, « superviseur » de son métier, est parti piocher dans d’autres œuvres de Gershwin, intégrant d’autres références (comme le « Shall we dance ? » avec Fred Astaire) pour offrir la continuité musicale. C’est, semble-t-il, toute le propos de Wheeldon : assumer la filiation directe avec l’œuvre-ballet de Gershwin et avec le film de Minnelli tout en s’autorisant la distance.

Présentation du spectacle sur le site du Châtelet. Photo: LSDP

La destinée d’« Un Américain à Paris » est en elle-même une histoire. Elle commence avec un séjour de George Gershwin à Paris peu après la Première Guerre Mondiale. Il tire de cette visite un poème symphonique (incluant de vraies trompettes de vrais taxis parisiens) d’une vingtaine de minutes. « Un Américain à Paris » est donc avant tout cette pièce musicale au cours de laquelle Paris se laisse découvrir. Près de 25 ans après la présentation en 1928 au Carnegie Hall de New York, Vincente Minnelli s’empare de l’œuvre et la transforme en immense succès des salles obscures, salué cette fois sur la côte Ouest, Hollywood offrant six Oscars au film dont un à Gene Kelly.

Encore plus de 60 ans plus tard, Wheeldon a choisi de décaler certaines des options prises par Minnelli. Certes, il y a toujours des GI qui boivent et chantent dans les guinguettes parisiennes mais ils viennent tout juste d’être démobilisés. Les traces de la guerre pèsent encore dans le destin de chacun et ce sont elles qui président à écrire la destinée de la ravissante Lise, promise au fils de ses protecteurs et sauveurs qui l’ont cachée pendant l’Occupation, alors même que Jerry Mulligan lui promet les frissons de l’amour pur. Inutile de s’étendre sur la bluette qui, évidemment, se termine sur un chemin de roses qui aura été, en outre, peu épargné par les clichés liés à la période de la Libération de Paris. Peu importe. C’est extrêmement secondaire.

Sur la scène du Châtelet, c’est le flacon qui engendre l’ivresse. La mise en scène est aussi habile que les chanteurs-danseurs ou les danseurs-chanteurs sont allègres. L’orchestre leur transmet toute la vitalité dont il est capable, et elle est immense. Les scènes intimes alternent avec les ballets et les chœurs dans un rythme parfaitement dosé. Voici un spectacle qui donne énergie et sourire autant à ceux qui le produisent qu’à ceux qui le regardent. Sous l’apparence d’une extrême simplicité, Wheeldon et toute son équipe réalisent un travail éblouissant et d’une grâce parfaite.

Le public parisien, réputé méchant, et a fortiori le tout-Paris culturello-politico-médiatique qui était convié à cette première première, n’a d’ailleurs pas chipoté : applaudissant longuement et debout.

Après le tintamarre médiatique des « avant-papiers » et l’enthousiasme de ce public privilégié, « Un Américain à Paris » a poursuivi sa route dans un immense silence. Personne n’avait pris la peine de dire deux mots de reconnaissance dans les gazettes ou sur les ondes ou sur un blog ? Certes, on avait bien aperçu un chroniqueur musico-mondain twittant depuis le théâtre son indignation de ne pas apercevoir la ministre de la culture dans la salle comble de VIP. Mais, ça paraissait bien chétif comme apport critique. Explication : en fait, ce n’était pas une première, mais juste une preview, un genre auquel le monde anglo-saxon est plus accoutumé et qui caractérise un spectacle en rodage et en devenir que Christopher Wheeldon, se donnait le droit de revisiter / retoucher / ajuster pendant encore une bonne quinzaine de jours avant de considérer que l’œuvre était définitive, si tant est qu’un spectacle vivant puisse être aussi figé qu’une figure marmoréenne.

Les critiques seront peut-être de nouveau invités mi-décembre pour voir cette nouvelle édition et pourront alors enfin livrer leurs commentaires. Ce ne sera pas mon cas, spectatrice heureusement servie par le hasard. Espérons que les retouches éventuelles ne feront que consacrer la subtilité de cette première première.

Par acquit de conscience, quelques informations pratiques : le spectacle est théoriquement visible jusqu’au 4 janvier au Châtelet à Paris. Théoriquement parce que les places se sont déjà envolées (1) … Après, si le cœur vous en dit vraiment et que votre portefeuille y consent, il faudra aller jusqu’à Broadway où le spectacle sera présenté à partir du printemps 2015. Le plan plus que B (ou moins que B, c’est selon), c’est une diffusion sur France Musique le 20 décembre prochain à 20H. Mais sans les images…

(1) Sauf certaines à visibilité réduite était-il encore annoncé le 4 décembre.

 

Présentation du spectacle sur le site du Châtelet. Photo: LSDP

Présentation du spectacle sur le site du Châtelet. Photo: LSDP

 

 

 

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Une réponse à Le Châtelet c’est Broadway

  1. de FOS dit :

    Veinarde !

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