Ligne de Chine

Aspect de l'exposition "Un train pour le Yunnan". Photo: LSDPDu temps de ses colonies, la France  a construit de multiples voies de chemin de fer dont certaines fonctionnent toujours. Réalisée au tout début du vingtième siècle entre l’Indochine et le Yunnan à partir d’une concession actée en avril 1898, la ligne qui devait relier au début Lao-Kay et Yun-Nan-Fou, a fait l’objet par deux de ses protagonistes, d’un reportage photographique extraordinaire visible jusqu’au 6 avril au musée Guimet.

Les photos prises à cette occasion par Auguste François et Georges-Auguste Marbotte, sont d’une qualité exceptionnelle pour l’époque. Elles mettent en avant un contexte ethno- géographique et elles cadrent bien entendu l’exploit technique, sur un tracé finalement agrandi de près de 500 kilomètres contre 385 au départ, qui a nécessité plus de 3000 ouvrages d’art (viaducs, ponts, tunnels) qu’un relief particulièrement accidenté imposait.

Une seule pièce du musée a été dévolue à cette exposition qui méritait davantage de surface au milieu il est vrai, de collections permanentes difficiles à déplacer. Mais elle vaut le détour tant elle a le mérite de nous transporter -littéralement- ailleurs, tant au bord de ce fleuve rouge qui semble jaillir d’une photo que de la voie de chemin de fer où le matériel était acheminé à dos d’homme ou d’animal.

La portée de cette ligne était avant tout géopolitique après la guerre de l’opium (1839-1842), le sac du Palais d’Eté (octobre 1860), la guerre des Boxers (1899-1901) ou encore le siège des légations étrangères durant les « 55 jours de Pékin » (juin 1900). La France, qui entendait se faisant, concurrencer l’influence britannique dans la région, chargea Auguste François, consul de France à grosses moustaches, d’organiser les négociations avec les autorités chinoises.

Il est rejoint plus tard par Georges-Auguste Marbotte qui était à la fois expert-comptable et photographe averti. Cette exposition les ressort très justement de l’anonymat en valorisant un travail documentaire de haute volée mettant tout à la fois en scène des têtes coupées, des paysages, des habitants en tenue traditionnels et des ouvrages d’art en cours d’élaboration qui venaient notamment des ateliers Eiffel.

Trois mille quatre cent vingt deux ponts et aqueducs, cent cinquante cinq tunnels, soixante mille ouvriers, douze mille bêtes de somme, les chiffres que nous livrent le musée Guimet sont à la mesure de l’exploit et de son diaporama noir et blanc. Soixante cinq photos sont en tout réunies à la rotonde du deuxième étage. C’est peu car s’il fallait placer un bémol, il y a un manque de renseignements écrits pour le visiteur dont on éveille une curiosité finalement mal assouvie. On cherche vainement le roman de l’affaire qui se cache  à la librairie pour le prix décourageant de trente euros.

Cette ligne unissant finalement Kunming à Hai Phong, désormais intégrée au patrimoine mondial de l’Unesco et qui a été inaugurée le 31 mars 1910, pourrait nous consoler de l’échec relatif au chantier français du canal de Panama, à époque presque équivalente. Sa mise en images, avec son contexte, témoigne en tout cas de l’inspiration globale de deux hommes ayant été impliqués dans cette aventure hors du commun.

Un train pour le Yunnan. Les tribulations de deux Français en Chine. Musée Guimet. Jusqu’au 6 avril.

La couverture du carnet photographique de Georges-Auguste Marbotte. Photo: LSDP

La couverture du carnet photographique de Georges-Auguste Marbotte. Photo: LSDP

 

 

 

Print Friendly, PDF & Email
N'hésitez pas à partager
Ce contenu a été publié dans Exposition. Vous pouvez le mettre en favoris avec ce permalien.

2 réponses à Ligne de Chine

  1. Pierre DERENNE dit :

    Pour se mettre dans l’ambiance de l’époque, lire ou relire : « Monsieur le Consul » de Lucien Bodard

  2. person philippe dit :

    Lucien Bodard ! C’est vrai, Pierre, il y avait Lucien Bodard !
    Le temps fait malheureusement son sale boulot : celui d’empoussiérer nos mémoires, de nous rendre oublieux de tant de choses…
    Désormais Bodard, avec sa grosse trogne à ne pas sucer que de la glace dans les bars de Saïgon, avec le débit saccadé de sa voix d’asthmatique et ses phrases avec trop de mots n’attend plus qu’un nouveau Perec pour devenir un « Je me souviens de Lucien Bodard »…

    Au passage, je me souviens aussi que sa femme, Mag, était une grande productrice…
    et que l’on pouvait voir Lucien dans un film d’Agnès Varda, « Les créatures » aux côtés de Piccoli et de Deneuve, dans un rôle assez étoffé…
    Souvenir, Souvenir…
    Moi, l’article de Philippe me fait aussi penser à Madame Margot Duras…

Les commentaires sont fermés.