Et Poussin créa Dieu

Nicolas Poussin. Paysage avec Saint Matthieu (1640). Photo: Jade SouletÀ l’occasion du 350ème anniversaire de la mort de Nicolas Poussin (1594-1665), le Louvre lève le voile sur l’un des plus grands peintres français, peut-être même le plus grand selon certains spécialistes. Le commissaire d’exposition, Nicolas Milovanovic, propose une vision complète de l’art de Poussin à travers l’exploration d’un pan majeur de son œuvre : la peinture biblique. Il faut dire que la thématique – Poussin et Dieu – est habilement légitimée.

L’exposition, qui se poursuit jusqu’au 29 juin, s’articule en 7 départements (se référer à la couleurs des murs) et présente une centaine d’œuvres de l’artiste, des peintures, certes, mais aussi des dessins et des estampes. L’enjeu est dans la réflexion portée sur Poussin dans son rapport à Dieu. Le thème choisi nous fait comprendre l’évolution de la production artistique du peintre, de son goût pour la couleur jusqu’à l’affirmation d’une « manière sévère ».

Lorsque son art est un dépassement perpétuel de soi, une recherche constante de vérité et de profondeur, l’artiste donne à voir la tension entre les besoins d’une société et ce que son individualité créatrice en révèle. Poussin n’y échappe pas.

Dans les premières salles, le visiteur parcourt les lieux tout en ayant à l’esprit (mais un temps seulement) les liens étroits entre la Contre-Réforme et la peinture, où la première impose à la seconde sa politique de rénovation picturale. Il s’agit d’observer comment Poussin se détache des prérogatives imposées par l’Église pour rencontrer une réflexion plus personnelle de la foi. La sainteté est représentée non pas avec emphase, mais dans un registre plus suggéré. « La Mort de la Vierge » (1623) en est un exemple : Marie est représentée dans un lit de mort somptueux, et ce pourrait être elle comme n’importe quelle autre mourante. Poussin s’attarde non pas sur sa sainteté, mais sur son humanité. Le tableau, œuvre de jeunesse, était destiné à Notre-Dame de Paris. Perdu depuis 1814, il a été retrouvé par hasard en 2000 dans l’Église belge de Saint Pancrace de Sterrebeek et nous est présenté pour la première fois depuis. Il témoigne de la période pré-romaine de Poussin et est capital en ce point.

"La Sainte Famille à l'escalier" (détail), 1648. Photo: Jade Soulet

« La Sainte Famille à l’escalier » (détail), 1648. Photo: Jade Soulet

Ces premières salles sont consacrées aux grandes commandes, du retable au tableau d’autel. De 1924 à 1930 (voire jusqu’à 1935), Poussin est à Rome. Il fait figure de singularité dans la Rome baroque post-tridentin. Le peintre va joindre profane et sacré, replaçant les scènes bibliques à l’ère des églises paléochrétienne. À Rome, il s’imprègne des exemples de l’Antiquité et y voit une source d’inspiration inépuisable. Poussin observe les canons antiques, puis mesure et dessine les vestiges romains. Il se constitue un répertoire qui affirme la justesse et l’équilibre de ses compositions épurées où l’architecture vient asseoir l’ensemble, comme un cadre dans un cadre. À ce titre, Poussin a une pratique tributaire de l’architecture et de la sculpture : il conçoit ses tableaux à partir de maquettes peuplées de figurines modelées selon une méthode de travail laborieuse héritée de l’époque maniériste. Le point est essentiel : sa méthode est un vecteur de création qui, comme dans la série de la « Sainte Famille », sert le propos.

Dans toute l’œuvre de Poussin, le pli somptueux des tissus et la rectitude de l’architecture participent à ennoblir la composition, conférant sérénité et grandeur aux personnages bibliques. Par la suite, on lui reprochera de donner dans la pierre, soit de conférer une dureté et une fixité minérale. Cependant, ce reproche ne s’applique pas aux œuvres réalisées autour de 1630, à voir dans la première partie de l’exposition.

Pendant sa période romaine, Poussin vit très fortement l’influence néo-vénitienne. Il œuvre loin des compositions grandioses de Giovanni Bellini et de Carrache, et l’on sent qu’il a étudié Titien de près. Il s’attache à la peinture de touche, à la sensualité du pinceau et aux effets chromatiques, offrant à l’œil la trace d’un doux hédonisme emprunt de narration, achevant des œuvres qui s’équilibrent entre le « colorito » et le « disegno », soit entre l’école de Venise et celle de Rome.

En 1642, le peintre est définitivement de retour à Paris et affirme un style davantage sévère. À cette époque, Poussin dit qu’il faut encadrer un tableau « en considérant toutes ses parties », pour que « l’œil ne se disperse pas au delà des limites de la toile ». Lorsqu’il peint « La Sainte Famille à l’escalier », en 1648, il est presque au sommet de sa rigueur plastique. Le tableau présente l’idéal de perfection tranquille, où siègent des corps raphaélesques et michelangelesques dans une composition d’un équilibre rigoureux. Aucun détail n’est purement décoratif, comme la corbeille de pommes qui rappelle le péché originel racheté par le Christ.

Sur la fin de sa vie, Poussin accorde la primauté au paysage. Il emploie des éléments architecturaux pour limiter l’espace et des éléments naturels pour l’agrandir autour des hommes. Plus encore, il utilise le paysage symboliquement en écho ou par contraste aux « affetti » des hommes, afin de donner à voir, à la fois dans leur expressivité et leur attitude, l’intériorité qui les animent. L’idée – et c’est là toute l’érudition de son génie –, est de transmettre une « expression particulière » et une « expression générale » au tableau, dans un souci de réalisme qui n’exclut pas l’esprit, puisque selon lui « la fin de l’art est la délectation (comprendre la jouissance intellectuelle) ».

La peinture de Poussin mérite attention. Elle est exigeante pour sa pleine compréhension. Comme le disait Bernini (dit Le Bernin) en désignant son front, « Poussin est un peintre qui travaille de là ».

Jade Soulet

« Poussin et Dieu », jusqu’au 29 juin. Musée du Louvre, 75001 Paris.

"Les Aveugles de Jéricho", 1650. Photo: Jade Soulet

« Les Aveugles de Jéricho », 1650. Photo: Jade Soulet

 

 

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