Du bleu au rouge

Photo de Marcel Brindejonc des Moulinais Victime d’un tir ami, l’officier Marcel Brindejonc des Moulinais, trouve la mort alors qu’il volait au-dessus de Verdun au mois d’août 1916. Le capitaine Louis Robert de Beauchamp dira de lui : « Brindejonc, c’est l’homme au panache, c’est le symbole léger, vivant, c’est la beauté, l’honneur qui passe très haut au-dessus de la vie ». Soit l’un des multiples témoignages que Bertrand Goujon a recueillis dans son livre « Du sang bleu dans les tranchées » aux éditions Vendémiaire.

L’angle est tout à la fois original et inédit puisque la focale de cet ouvrage passionnant se limite à la participation de la noblesse française à la guerre de quatorze. A partir de témoignages pléthoriques, Bertrand Goujon s’est fait le géographe, l’historien et l’entomologiste d’une caste à part. Son index des personnalités citées, à la fin de l’ouvrage est davantage un gotha qu’un annuaire avec des patronymes évocateurs comme « Fabre de la Bénodière », « Bouquet de la Jolinière », « du Pont de Ligonnès », « de Roquemaurel » ou encore « Lorenchet de Montjamont ».

Il raconte comment les nobles se sont portés volontaires avec des motivations variées. Ainsi André de Tainguy déclare aux siens : « Ce n’est pas en vain que le sang d’un La Rochejaquelien coule dans mes veines ; je serai heureux de mourir pour la Patrie ». Celui-là a fait aiguiser son sabre avant de partir, persuadé que le rôle de la cavalerie sera déterminant dans une guerre que l’on promet courte. Cet autre se fera chauffeur d’un général au volant de sa propre Rolls Royce. Certains enrôlements sont d’autant plus drolatiques que les événements à suivre seront épouvantables.

Le désenchantement est rapide et le lieutenant de dragons Roger de la Brosse dira dès l’automne 1914, « La viande humaine n’est pas chère là-bas et la vie d’un homme n’est qu’un atome insignifiant ». Le sang bleu est une illusion vite dissipée. Dans les tranchées ce qui dégouline de part et d’autre est du même rouge, au rhésus près. Encore que des soldats titrés se font hacher par les mitrailleuse ennemies, en ayant eu soin au préalable, d’enfiler une paire de gants blancs. Noblesse oblige jusque dans les détails.

Bertrand Goujon. "Du sang bleu dans les tranchées".

Bertrand Goujon. « Du sang bleu dans les tranchées ». Photo: PHB/LSDP

Au combat, les nobles en profitent pour réviser en hausse leur appréciation du « menu peuple » comme le capitaine Louis de Clermont-Tonnerre. D’autres y entretiennent leur mépris comme Jean de Pierrefeu qui écrira « Hélas, j’étais bien seul. Toutes ces brutes méridionales (…) ronflaient déjà. Pas une âme parmi ces levantins douillets, ces contribuables mous et aveulis qui m’ont fait souffrir plus que l’obus prussien. Jamais je ne leur pardonnerai la souffrance morale que j’ai endurée (…) à leur contact ». Moult témoignages recensés démontrent néanmoins une certaine empathie des nobles envers les gens ordinaires, dans cette assimilation forcée qu’est le combat au front où les artilleurs ennemis, faute de précision, ne distinguaient pas les particules.

Dans l’ensemble, la noblesse française donne et se donne. Comme la piétaille, elle se rebelle aussi parfois, notamment face aux exécutions pour l’exemple ou parce qu’il vaut mieux, mentionne l’un  deux, gâcher des munitions plutôt que des vies humaines dans les assauts aussi vains qu’imbéciles ordonnés par les états-majors.

Ancien élève de l’Ecole normale supérieure, spécialiste de l’histoire et notamment des élites européennes, Bertrand Goujon brosse sur près de six cents pages un captivant tableau de l’engagement de la noblesse française dans ce premier conflit mondial. Sa plume neutre et sûre, dépeint très efficacement l’état d’esprit, le comportement, les vaillances et les faiblesses d’une population pour laquelle le mot « lignage » est tout sauf un vocable inerte.

PHB

« Du sang bleu dans les tranchées ». Bertrand Goujon. Editions Vendémiaire. 25 euros.

La mort de Marcel Brindejonc des Moulinais, annoncée dans l'Illustration datée du mois de septembre 1916. Photo: PHB/LSDP

La mort de Marcel Brindejonc des Moulinais, annoncée dans l’Illustration datée du mois de septembre 1916. Photo: PHB/LSDP

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3 réponses à Du bleu au rouge

  1. Steven dit :

    cet auteur revisite la guerre sous un angle des plus inattendus. Passionnant. S.

  2. jmc dit :

    Oui, le panache s’est toujours exaltant. Mais on peut aussi lui préférer le courage ras-la-boue du populot, celui, par exemple, des tranchées du Feu, de Barbusse…

  3. person philippe dit :

    Cela nous rappelle « La Grande illusion »… L’amitié entre les aristocrates ennemis…
    Le capitaine de Boeldieu et le commandant von Rauffenstein…

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