Les « amazones » face à l’hégémonie de la norme

lesamazonessexposent - L'exposition au centre MontgalletLes textes se resserrent au profit des photos et les images envahissent notre monde. Selfies, applications de portables, réseaux sociaux… plus que jamais on expose son corps au regard des autres. Le corps mis en scène, le corps objet de représentation sociale, le corps capital à faire fructifier.

Aujourd’hui, de la simple retouche Photoshop à la chirurgie esthétique, le pas est quelquefois vite franchi. L’essentiel étant de présenter à l’objectif une anatomie parfaite pour répondre aux canons de beauté de son temps. Mais que se passe-t-il lorsque le corps ne correspond pas ou ne correspond plus à un idéal?

En 2007, Annick Parent et Lillian Stirling ont créé l’association « Les Amazones s’exposent » pour tenter de lever le voile sur un sujet tabou : Les femmes qui, après l’ablation d’un sein, ont choisi de ne pas faire de « reconstruction » mammaire. Elles partaient d’une triste constatation. Pour aider à la prise de décision, il n’existait aucune représentation du corps de la femme amazone, aucun témoignage de celles qui n’avaient pas fait appel à la chirurgie réparatrice, aucune information dans les lieux de soins. Alors même que sur les 55 000 femmes environ diagnostiquées en France en 2015, un tiers subira une ablation d’un sein mais la majorité ne fera pas de chirurgie réparatrice.

@lesamazonessexposent - d'après La mulâtresse de Delacroix

@lesamazonessexposent – d’après La mulâtresse de Delacroix

Forte de ce constat, Annick Parent et Lillian Stirling, décidaient de pallier le déficit de représentation des amazones afin de permettre aux femmes, qui ont fait ce choix, de sortir de l’isolement. S’entourant d’amies artistes, elles choisissaient l’art comme moyen d’expression pour aborder ce thème. C’est ainsi que pour la première fois en France, en 2007, le corps de femmes amazones était dévoilé avec humour et tendresse.

Aujourd’hui, l’association récidive. Sa nouvelle exposition (du 1er au 19 décembre 2015) intitulée « Hégémonie de la norme ou respect des différences ? » va bien au-delà du sujet du cancer du sein. Elle aborde les normes de la féminité au cours de l’Histoire pour amener le public à se questionner.

Nous avons rencontré Annick Parent pour nous en parler.

Lottie Brickert: Pourquoi avoir choisi l’art comme moyen d’expression de votre association?

Annick Parent: Parce qu’il sert « d’interface ». L’art permet d’aborder les choses avec un brin de distance, il permet de dire ou de montrer ce qui ne le serait pas autrement. La beauté plastique des œuvres que nous avons exposées depuis sept ans a permis aux visiteurs d’apprivoiser ce qui n’est jamais représenté : une femme avec un seul sein. Pour preuve, même les Amazones de la mythologie – que ce soient des sculptures ou des peintures – ne sont jamais représentées avec un buste asymétrique !

LB: Pensez-vous que le corps amazone est devenu moins tabou depuis la première exposition « Les Amazones s’exposent » en 2007 ?

AP: Du chemin a été parcouru, c’est certain, maintenant des articles sur le sujet mentionnent quelques femmes qui n’ont pas « fait de reconstruction » sans les présenter comme des demeurées. Toutefois, le quasi-silence de nos sociétés latines sur cette différence particulière est éloquent : on est tout simplement censées ne pas exister, car dans la tête de bien des gens – médecins inclus -, une femme qui n’a pas ses deux seins n’est plus une femme…

LB: En abordant les normes de la féminité aujourd’hui mais aussi au cours de l’Histoire et dans d’autres pays, votre nouvelle exposition va au-delà de la représentation du corps amazone. Pouvez-vous nous en dire plus sur l’objectif de votre démarche ?

AP: C’est le décalage dans le temps et dans l’espace qui permet de regarder notre quotidien d’un œil neuf, c’est en s’étonnant de pratiques corporelles étrangères ou appartenant à notre passé que l’on en vient à questionner ce qui, jusque là, était pour nous une évidence non remise en cause. Sandrine Pignoux et moi nous sommes plongées dans l’Histoire. De tout temps il y a eu des contraintes exercées sur le corps, particulièrement sur celui des femmes : quatre siècles de corset en Europe et dix de bandages des pieds en Chine en témoignent. Actuellement, en Corée du Sud, la mode est aux visages de manga : menton pointu et grands yeux. On débride les yeux et on fracture la mâchoire pour l’« étroitiser » au risque d’avoir des séquelles importantes.

Amazones, nous avons découvert que notre corps, en devenant asymétrique, devenait tabou. S’il est vrai que la beauté est liée à la symétrie, les incitations à la « reconstruction » auxquelles nous avons été confrontées si souvent nous ont amenées à nous questionner sur l’identité féminine et les normes de la beauté. Cette exposition est le fruit de nos réflexions, et une tentative nouvelle pour faire changer le regard, susciter plus de tolérance face à la différence, face à toutes les différences.

Propos recueillis par Lottie Brickert

«Les Amazones s’exposent – Hégémonie de la norme ou respect des différences ?» – Exposition du 1er au 19 décembre 2015 – 4, Passage Stinville  – 75012 Paris.
Entrée libre (lundi : 14h – 22h -mardi au vendredi : 10h – 22h – samedi : 10h – 17h).

@lesamazonessexposent - d'après l'autoportrait présumé de Gabrielle d'Estrées avec sa sœur

@lesamazonessexposent – d’après l’autoportrait présumé de Gabrielle d’Estrées avec sa sœur

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4 réponses à Les « amazones » face à l’hégémonie de la norme

  1. VAM dit :

    Un grand bravo! pour cet article qui met à l’honneur ces belles initiative des Amazones qui font émerger/vivre un droit à la différence. Cette exposition très courte dans le temps sera, je l’espère, largement vue et commentée, davantage encore que celles déjà tenues lors de précédentes éditions. Merci de nous en avoir fait part dans Les Soirées de Paris.

  2. parent dit :

    Sandrine Pignoux et Annick Parent vous accueilleront dans l’exposition à partir de
    19 h 30 le 10 décembre, et de 14 h le samedi 19 décembre 2015.

  3. Ping : Nouvelle exposition – centre d’animation Montgallet – Paris « les amazones s'exposent

  4. Raymond dit :

    En 2014, une exposition photos sur les amazones était présentée dans le cadre magnifique de la cour de l’Hôtel de Sully. Le silence et la ferveur des visiteurs m’avaient impressionné… Longue vie à l’association « les amazones s’exposent » et merci à Lottie de la faire connaître.

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