L’escamoteur Ai Weiwei fait le dos rond au Bon marché

Oeuvre d'Ai Weiwei au Bon Marché. Photo: Valérie MaillardAi Weiwei n’expose pas beaucoup en France (1), alors quand certaines de ses œuvres sont présentées au public – serait-ce sur l’invitation d’un grand magasin parisien de la rive gauche – c’est le moment de le re(voir). Ai Weiwei ? Ses biographes décrivent un artiste photographe, sculpteur, performeur… sans parvenir à mettre un point final à la liste de ses nombreuses spécialités. Il est architecte aussi, à l’occasion, et a notamment conçu le « nid d’oiseau », le stade national de Pékin construit pour les J.O. de 2008.

Blogueur et « twitterer » en diable, Ai Weiwei s’affiche comme un activiste politique – ce qui lui vaut régulièrement des ennuis dans son pays, la Chine. Emprisonné en avril 2011, il a été libéré trois mois plus tard. Assigné à résidence, il n’a retrouvé l’usage de son passeport qu’en juillet 2015 ; date à laquelle il est parti à Berlin pour s’y installer et y travailler (il donne, entre autres occupations, des cours d’art).

Dissident, artiste subversif, Ai Weiwei a de qui tenir, il est le fils d’Ai Qinq, poète francophile ayant fréquenté le milieu artistique parisien. Qinq fut inspiré par Auguste Renoir et Vincent Van Gogh et les poètes Casimir Maïakovski et Emile Verharæn. De retour en Chine après ses études d’art, il fut fait prisonnier politique. Il est l’auteur d’un poème à la mémoire d’Apollinaire – Le Mirliton – qu’il composa en prison (2) où il séjourna de 1961 à 1978.

Ai Weiwei a passé toute son enfance déporté en camp de travail avec toute sa famille. Aujourd’hui, il tire des clichés photographiques de différents monuments du monde entier avec un doigt d’honneur pointé au premier plan (le sien). Côté provocation on a vu pire, bien sûr, notamment de la part d’un certain Marcel Duchamp, son inspirateur, qu’il a découvert en séjournant à New York : « J’ai compris, grâce à lui, que l’art est aussi une façon de vivre. » Weiwei est un artiste engagé. Il a fait le déplacement sur l’île grecque de Lesbos à la rencontre des migrants. Il souhaiterait y ériger un mémorial en hommage aux disparus. Il avait déjà pris fait et cause pour les victimes chinoises du tremblement de terre de 2008 dans le Sichuan, qui avait fait 90.000 morts, dont de nombreux enfants disparus sous les décombres de leur école, victimes collatérales de la malfaçon venant de la corruption endémique.

La grande verrière et les œuvres suspendues de Ai Weiwei. Photo: Valérie Maillard

La grande verrière et les œuvres suspendues de Ai Weiwei. Photo: Valérie Maillard

Ce n’est ni sous l’angle contestataire ni provocateur que vous verrez Ai Weiwei au Bon Marché. Sous la verrière fraîchement refaite du grand magasin parisien, il se passe quelque chose de plus poétique, de plus céleste même. Dans une installation en grande partie aérienne, Ai Weiwei présente un bestiaire chimérique de vingt-deux créatures fantastiques qui composent le « Shanhaijing » (ou le « Classique des monts et des mers », un recueil consacré à la mythologie de l’Antiquité chinoise, vieille de deux mille ans et source principale des mythes chinois populaires). Ce recueil a été réévalué au XXe siècle et, outre ses qualités littéraires, se présente aussi comme un ouvrage de géographie et d’histoire, soit une mine d’informations pour nos observateurs contemporains.

Dans les vitrines donnant sur la rue de Sèvres et sous la verrière, vous découvrirez des esprits ayant pris la forme d’un oiseau à tête de dragon, d’une bête bicéphale évoluant sur trois pattes ou encore d’un serpent chanteur. Ces sculptures légères sont faites de papier de soie blanc tendu sur une armature de bambou. Les tiges de bambou ont été taillées, courbées et assemblées pour former une structure ensuite recouverte de papier. Un travail de patience et de longueur de temps, confectionné à la main par toute une équipe travaillant avec Ai Weiwei en atelier, et réalisé à la manière des cerfs-volants traditionnels chinois. Le tout a d’ailleurs été suspendu dans les airs et flotte sans ostentation au-dessus des stands de parfumerie du magasin. Un bien curieux lieu pour un accrochage, mais qui fonctionne malgré tout car il se trouve, étonnement, en parfaite cohérence avec l’environnement.

Parmi les pièces monumentales (et posé au sol, vu la dimension), figure un « Dragon en quatre segments », symbole d’immortalité, de force et de persévérance pour les Chinois (faut-il voir ici un message ?) Celui-là est composé d’une structure tissée en bambou pour une meilleure résistance, et recouverte à l’identique de papier de soie blanc. S’il est impressionnant par sa taille, il est de loin le plus pataud, est-ce à cause de sa structure quadrillée ? L’ensemble de l’exposition, présenté sur trois niveaux, donne en tout cas un effet sensuel et onirique. C’est beau et c’est à voir jusqu’au 20 février.

Valérie Maillard

"Dragon en quatre segments", Ai Weiwei. Création pour le Bon marché. Photo: Valérie Maillard

« Dragon en quatre segments », Ai Weiwei. Création pour le Bon marché. Photo: Valérie Maillard

(1) La dernière exposition majeure des œuvres d’Ai Weiwei, au Jeu de Paume, à Paris, date de 2012.

(2) «Le Mirliton – A Guillaume Apollinaire », à lire ici, après la biographie de l’auteur.

« Er Xi – Air de Jeux », créations originales de Ai Weiwei pour le Bon marché Rive gauche, 24 rue de Sèvres, Paris 7e. Jusqu’au 20 février 2016.

Pour aller plus loin, la Fondation Louis Vuitton expose Ai Weiwei au côté d’autres artistes chinois : « La Collection – Un choix d’œuvres chinoises » (jusqu’au 5 septembre 2016).

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3 réponses à L’escamoteur Ai Weiwei fait le dos rond au Bon marché

  1. Et c’est tout à l’honneur de l’artiste que d’avoir annulé sa participation à deux expositions au Danemark, pays dont le parlement vient de voter une loi qui autorise la confiscation des biens des migrants. PHB

  2. Debon dit :

    Merci, Valérie Maillard, de m’avoir fait connaître cet artiste chinois et dans la foulée un poème de son père sur Apollinaire que j’ignorais et que je me ferai un plaisir de diffuser dans notre revue Apollinaire, tant est grand son intérêt poétique et historique. Je suppose et j’espère qu’il n’y a pas d’autorisation à demander. Claude Debon

  3. person philippe dit :

    Désolé d’apporter un avis un peu « dissident », mais les rapports d’Ai Wei Wei avec le pouvoir chinois mériterait des pages et des pages… S’il n’avait pas de hautes protections – parce qu’il est du sérail – et ne jouait pas un jeu trouble, sa tête eut chu depuis longtemps… Un petit Chinois barbouilleur n’aurait pas pu développer toute la quincaillerie d’un Ai Wei Wei…
    Pour moi, c’est un artiste officiel qui joue au dissident… l’équivalent de nos pires faiseurs occidentaux du moment de Jeff Koons à Matthew Barney… Ceux qui sont les parangons de l’ultra libéralisme artistique et qui ont contribué à la reddition de l’art du côté des puissants de toutes sortes… Ces mimeurs de révolte, s’ils étaient aussi subversifs que ça, organiseraient des événements Kalachnikov où ils flingueraient leurs mécènes et les journalistes à leurs bottes…
    On attend avec impatience l’art contemporain version Daesh ! Patience, il viendra… et finira au musée Pinault !

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