« La nouvelle promesse prométhéenne »

Corps désirable. Photo: Célia BretonEngagé d’ordinaire dans un univers où règne le multiculturalisme, Hubert Haddad signe cette année un court roman, « Corps désirable », au plus près de l’ontologie et des questions fondamentales qui s’y rattachent.
Prenez un instant et imaginez un univers où s’ouvre le champ des possibles, où la vie et la renaissance ne deviennent plus qu’une question scientifique, où l’adage nietzschéen « Dieu est mort« , prend tout son sens.

C’est l’histoire de Cédric, fils d’une figure incontournable des laboratoires pharmaceutiques, et de Lorna, sa compagne. Ils s’aiment, vivent de leur engagement professionnel, quand naissent les premières notes de la gamme tragédienne du roman. A la suite d’un accident, le pronostic de Cédric est sans appel : il vivra, mais désormais privé de toute faculté motrice. Prisonnier d’un corps qui ne lui appartient déjà plus, on lui offre la possibilité d’intégrer le corps d’un autre. La promesse de pouvoir s’unir à nouveau à Lorna vient renverser un choix cornélien en choix racinien. Qu’il serait beau alors d’imaginer Cédric sous les allures d’un chef orchestrant la mise en œuvre d’un tel projet ! Mais la fiction nous dira qu’il n’en est rien tant la vulnérabilité de sa posture vient rendre caduque tout positionnement subjectif. « Adieu Adieu Soleil cou coupé » fermait Apollinaire dans Alcools.

Imaginez une tête, un corps. Un seul greffon. Mais lequel : le corps ou la tête ? Vertigineux, n’est-ce pas ? Pas suffisamment ? L’auteur nous invite à plonger dans ce corps reconstitué pour mieux en saisir les entours. Dans cette parabole narrative, nos repères sensoriels glissent et se perdent jusqu’à interroger ce qui fonde notre être, notre assise et notre identité. Et nos certitudes se brisent sur notre imaginaire.
Imaginez jusqu’à déterminer ce qui fait ce que nous sommes. Notre tête ? Pas sans un corps évidemment. Notre corps ? Pas sans une tête évidemment. Alors une tête et un corps ? Oui, mais sous quelle connexion ?
Imaginez-vous un instant dans le corps d’un autre. Une marque, un tatouage, une histoire qui ne vous appartient pas mais deviendra vôtre par la force des choses. Une sensation que l’on croyait familière se fait suffisamment étrangère pour devenir inquiétante. Une image spéculaire qui se dédouble chaque jour un peu plus.

Imaginez…

hauteur… Non, n’imaginez plus. Car la fiction semble finalement en passe de devenir réalité. C’est en effet d’un article, paru dans Le Monde, traitant d’une expérimentation de transplantation totale que Hubert Haddad tire l’inspiration de son roman « Corps désirable ». Outre le fait d’ouvrir le prisme sur un projet en passe de devenir réalité, ce roman bouscule en quelques chapitres notre inclination à passer sous silence les questions les plus existentielles. Le regard d’Haddad se fait profond et engagé. Sous sa plume, la citation qui le guide : « laissons aux penseurs et aux poètes les questions éthiques » devient une ode à réintroduire la pensée en tout acte. La note n’est cependant pas très optimiste. Avec lui, on ne pourra que déplorer le fait que dans ces rêves futuristes d’éternité risque de perdurer le « mal à son vide », inscrivant sans relâche le désir comme parent pauvre de la science.

Célia Breton

« Corps désirable », Hubert Haddad. Editions Zulma. 176 pages, 16,50 euros

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