Le constat accablant de Laurent Mauduit sur les médias

"Main basse sur l'information". Photo: PHB/LSDPPour porter un diagnostic sur les médias français, Laurent Mauduit n’y est pas allé avec le dos de la cuillère. Dans son dernier livre paru aux Editions Don Quichotte, « Main basse sur l’information », le journaliste de Mediapart a sorti le lance-flammes. Son ouvrage établit -avec raison- un véritable état de catastrophe naturelle pour les organes de presse. Une vision d’autant plus alarmante que les journaux, quel que soit leur support, papier, audiovisuel, web, constituent l’un des ressorts de la vie démocratique.

Contrairement aux jeunes journalistes sortis des écoles spécialisées, Laurent Mauduit a l’âge de raison. Il a notamment travaillé pour Le Monde et Libération. Spécialiste de l’économie, il a croisé maints acteurs de la vie industrielle ou de la finance, ces mêmes acteurs dénonce-t-il, qui ont intrigué pour rafler la plupart des médias français plutôt à bon prix. En gros, ils sont dix à avoir pratiquement tout capté. Ils s’appellent Vincent Bolloré, Xavier Niel, Patrick Drahi, Michel Lucas ou encore Matthieu Pigasse. Ils contrôlent des entités aussi importantes que Canal Plus, Le Monde, Libération, l’Express ou encore des pans entiers de la presse quotidienne régionale. Quoique très riches il n’hésitent pas à encaisser sans sourciller les aides à la presse qui vont de la poche du contribuable à la leur en passant par le guichet très coulant de l’administration.

Laurent Mauduit raconte les extraordinaires jeux d’influence et motivations cachées qui ont fait en sorte que l’information est passée sous le contrôle de quelques uns.  Il pointe du doigt le capitalisme de connivence où l’on se distribue les lots quand on ne se les échange pas avec de confortables plus-values. L’enjeu est souvent financier, mais le fait de détenir tout ou partie d’un média permet également  de gagner en respectabilité et d’ouvrir bien des portes y compris celle de l’Elysée. Pour ce faire certains font appel à des entremetteurs lesquels n’hésitent pas à faire double jeu pour être sûrs de gagner. Les épisodes révélés par Laurent Mauduit à ce sujet sont assez éloquents. Il détaille notamment comment Emmanuel Macron alors banquier, s’y est pris pour endormir la société des rédacteurs du Monde lors de la prise de contrôle de quotidien par le trio Bergé, Pigasse, Niel.

Il inculpe aussi au passage le journalisme de connivence qui consiste pour celui qui tient la plume, à louvoyer au gré de ses intérêts directs ou en fonction des objectifs de ceux qui payent la plume. Cela revient aussi à savoir où, quand, comment et surtout qui il faut habilement flatter pour évoluer dans la hiérarchie d’un média. Le constat de l’auteur est implacable et son écriture est tout sauf un robinet d’eau tiède. Il ne brocarde guère, non. Arguments à l’appui  il calcine, crame, sulfate, goudronne, dézingue en un mot tous ceux qui font en sorte que la presse libre perde son précieux épithète. Il sera d’ailleurs intéressant de connaître leur point de vue, dès le 8 septembre, quand le livre aura gagné les rayons des libraires.

Une presse sous influence. Photo: PHB/LSDP

Une presse sous influence. Photo: PHB/LSDP

Pour donner de la profondeur à son état des lieux, Laurent Mauduit a fait des rappels à l’histoire, notamment les périodes où la presse  a été la plus malmenée comme le premier et le second empire ou la Restauration, mais pas seulement. En outre, à l’heure où la publicité avance masquée, notamment à travers ce qu’il est convenu d’appeler le « brand content » soit des pubs déguisées en articles, le journaliste fait bien de citer l’un des points de la charte du métier, convenue en 1971 à Munich: « Ne jamais confondre le métier de journaliste avec celui du publicitaire ou du propagandiste; n’accepter aucune consigne, directe ou indirecte, des annonceurs« .

L’exercice journalistique est en effet devenu bien compliqué dans une presse devenue impécunieuse à forte d’être dépensière et donc passée aux mains de l’industrie. Comment parler librement des produits de luxe quand le propriétaire d’un journal est le numéro un du secteur (LVMH), comment traiter des télécoms quand le patron  est à fois propriétaire de SFR et celui qui assure la paie des rédacteurs,  comment traiter la finance dans un journal détenu par un groupe bancaire, dans quelle mesure évoquer justement la reprise en main des médias quand le boss les rachète un par un? Cela demande une certaine retenue sauf que ce n’est pas ce que le lecteur demande.

Certes « Main basse sur l’information » est un livre davantage fait pour les initiés. Mais enfin, pour un ancien lecteur aux grandes heures de Libération, de l’Express, du Nouvel Observateur, du Monde ou encore auditeur de Radio France, l’ouvrage est captivant en ce qu’il explique, comment s’est opéré et s’opère toujours, le dévoiement de l’information.

Les journalistes ont aussi leur part de responsabilité dans cette presse tenue en laisse. Laurent Mauduit cite à ce propos l’écrivain George Orwell. Voilà ce que le fameux auteur de « 1984 » disait dans une de ses chroniques: « Les journalistes méritent leur part de blâme, c’est les yeux grands ouverts qu’ils ont largement laissé leur profession se dégrader. Quant à blâmer quelqu’un comme Northcliffe (magnat de la presse jusqu’en 1922 ndlr) parce qu’il gagne de l’argent par le moyen le plus rapide, c’est un peu comme de blâmer un putois parce qu’il pue« .

Il n’empêche que le constat dressé est affligeant, bien qu’il fasse l’impasse sur quelques médias encore indépendants tels des titres aussi différents que La Croix, Ouest-France ou le Canard Enchaîné. Laurent Mauduit entend pour finir se révolter contre « l’état de servitude dans lequel sont placés la presse et tous les grands médias d’information, radios et télévisions« . Il plaide pour une refondation, une sorte de ressaisissement dont l’Etat français, ses représentants élus, les syndicats professionnels, pourraient prendre l’initiative. Pas spécialement pour faire plaisir aux journalistes actuellement bien mal traités mais tout simplement parce que notre démocratie hépatique ne se rétablira qu’à ce prix. Il reste à faire épeler correctement le mot liberté à ceux qui nous dirigent et ça, malheureusement, c’est pas gagné.

PHB

"Main basse sur l'information". Photo: PHB/LSDP

Photo: PHB/LSDP

« Main basse sur l’information ». Laurent Mauduit. Editions Don Quichotte. 19,90 euros

 

 

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2 réponses à Le constat accablant de Laurent Mauduit sur les médias

  1. Bertrand Marie Flourez dit :

    A propos de « ressaisissement » de l’Etat français, il y a la distinction, que M. Mauduit fait certainement (je n’ai pas encore lu l’ouvrage) entre médias publics et médias privés. Je veux dire par là qu’effectivement, l’objectivité pure n’existe pas et ce n’est pas le problème : le journalisme doit être pluraliste ; la question est donc celle, concernant l’information publique, dont payée par les contribuables, de sa pluralité qui devrait correspondre à celle des journalistes eux-mêmes et à celle des contribuables. Si déjà, par exemple, dans les médias publics, au lieu d’avoir une seule direction de l’information, il y avait deux équipes, professionnelles, de sensibilités différentes, qui alterneraient à l’antenne, ce serait, me semble-t-il, plus démocratique, et donnerait par ailleurs du travail à plus de journalistes ( 🙂 ). En effet, la question de donner la parole à tout le monde de façon équitable et contrôlée par le CSA ne fait plus du tout illusion.
    Il me semble que l’ « état de servitude » de l’information est en effet complexe et tient autant au pouvoir de l’argent qu’à des décisions politiques (mais peut-être je paraphrase là l’ouvrage ?).

  2. Air One dit :

    Au sujet de Laurent Mauduit et de son parcours, un billet fort instructif troussé par Frédéric Lordon sur son blog, rappelant d’où vient le journaliste, et ce qu’il a fait avant de cofonder Mediapart et de se lancer dans la rebellitude sur le tard : http://blog.mondediplo.net/2012-07-19-Corruptions-passees-corruptions-presentes
    Cela n’enlève rien à ses constats, sur les économistes ou sur les médias, mais j’aurais aimé au préalable lire de sa part à minima un petit mea culpa avant de dénoncer ce à quoi il a activement participé, comme son associé Edwy Plenel qui a également la mémoire sélective…

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