Sous sa visière baissée, le regard de la baronne pénétrait tout

Oeuvre de Serge Férat. Photo: PHB/LSDPDans son introduction au catalogue de l’exposition « Chez la baronne d’Oettingen » Sylvie Buisson raconte que Picasso avait signifié à cette femme belle, fantasque et distinguée, son intention d’en savoir davantage sur les mystères de l’écriture russe. Hélène d’Oettingen avait accepté de lui dispenser cet enseignement « et sans doute d’autres choses », mentionne malicieusement Sylvie Buisson. Cette époque de liberté faisait qu’il était possible d’emprunter l’amant ou la femme de quelqu’un et de les rendre sans plus de façons à son attributaire, par politesse ou lassitude. L’exposition en cours qui se tient tout à la fois à la galerie Alain le Gaillard et à celle du Minotaure, se limite néanmoins à présenter les œuvres de la baronne, celles de Serge Férat et aussi de Léopold Survage tous les trois d’origine russe, attachés par le même destin.

Tout ce petit monde était très lié. Lorsque la baronne et son frère-cousin-compagnon Serge Férat débarquent dans le Paris d’avant-guerre, ils se font rapidement une place dans les milieux littéraire et artistique qu’ils subventionnent assez généreusement. Il faut bien dire qu’étant généralement fauchés, les artistes et écrivains se sont vite montrés réceptifs et d’autant plus conciliants aux avances du couple que la baronne et son frère mais surtout la baronne, avaient un goût prononcé pour la fête. La baronne d’Oettingen et Serge Férat ont en outre financé la deuxième série des Soirées de Paris, de l’automne 1913 jusqu’au mois de juillet 1914. Serge Férat en était le directeur artistique aux côtés de Guillaume Apollinaire.

Composition. François d'Angiboult. Photo: PHB/LSDP

Composition/F.Angiboult. Photo: PHB/LSDP

Le caractère joyeux et souvent excentrique des fiestas organisées au 229 ou au 278 boulevard Raspail s’est dissipé dans les fumées de l’oubli. Ce qui nous est donné à voir dans la double exposition qui court jusqu’au 29 octobre n’en est que le reliquat artistique à partir duquel il est toujours permis de rêver. Les peintures de la baronne sont signées François Angiboult tandis qu’elle signait Roch Grey pour ses écrits et Léonard Pieux pour ses poésies. Sa Composition de 1915 (ci-contre) qui ressemble curieusement à une paire de trompes utérines est assez emblématique de son talent, très consommateur de couleurs et de géométries aussi franches que variées. On peut préférer sa poésie quand elle écrivait joliment : « Mon passe-partout sous la visière baissée, c’est mon regard qui pénètre tout » (1).

Discret, indéfectible dans l’amitié, Serge Férat a prêté main forte à Apollinaire dans son projet théâtral des « Mamelles de Tirésias »(2) dont incidemment, une représentation vient d’avoir lieu à la Fête de l’Humanité par la Compagnie du Petit Agité. C’est lui qui a fourni le local pour les répétitions, c’est lui qui s’est chargé des décors. La pièce s’est jouée pour la première fois à Montmartre en juin 1917 devant une assistance déchaînée. L’exposition nous montre notamment les études exquises de Serge Férat au crayon, à l’encre et aquarelle, qui ont servi de base aux décors.

Apollinaire disait que Léopold Survage faisait partie des rares peintres sachant « mettre dans une seule toile, une ville entière avec l’intérieur de ses maisons ». On peut notamment le constater dans sa « Vue de nice » réalisée en 1916 ou encore dans son œuvre intitulée simplement « La ville » datée de 1919. Comme ses expositions sont devenues rares telle celle de Collioure en 2012 (3), il serait dommage de ne pas profiter du bel échantillonnage qui nous est donné à voir.

Photo: PHB/LSDP

Photo: PHB/LSDP

Les toiles ne sont pas des coquillages. En collant l’oreille dessus on n’entend rien. Elle ne sont que les traces muettes de saisons achevées. Heureusement que les Editions du Minotaure ont publié à l’occasion de cette exposition un livre présentant des textes de Roch Grey (la baronne, donc). Autant de témoignages nutritifs qui nous aident par imagination, à prendre notre part de cette période glorieuse et joyeuse. La longue et en même temps trop courte introduction d’Isabel Violante, collaboratrice occasionnelle des Soirées de Paris d’aujourd’hui, justifie l’acquisition de cet ouvrage notamment orné, à son début, d’un portrait peint de la baronne par Leopold Survage.

PHB

(1) A propos de la baronne
(2) Au sujet des Mamelles de Tirésias

(3) L’expo Survage à Collioure

Galerie Le Minotaure 2 Rue des Beaux Arts, 75006 Paris
Galerie Alain le Gaillard 19 Rue Mazarine, 75006 Paris
Jusqu’au 29 octobre

Exposition réalisée grâce au concours de Madeleine et Alban Roussot

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