Oscar Niemeyer, architecte engagé, concepteur du siège du Parti communiste français

Siège du PC. Photo: Lottie BrickertPlace du Colonel Fabien dans le XIXe arrondissement, un matin de septembre 2016.
Il est des visites inspirantes. Dans la salle de réunion – vide ce matin-là – du Comité central du siège du Parti communiste français (PCF), une touriste chinoise se prend en selfie devant un micro installé sur le podium. D’abord timide, elle s’enhardit se saisissant du micro comme pour galvaniser l’auditoire, absent donc.

L’architecture un booster de vocations politiques ?
Cela n’aurait sans doute pas été pour déplaire à Oscar Niemeyer, architecte de génie et concepteur – parmi plus de 600 réalisations dans le monde entier – du siège du PCF. Entré au parti communiste en 1945, il a été fidèle à son idéologie durant toute sa vie. Pour lui, il était important de participer à la politique pour donner à l’architecture le côté humain qui lui manque. Il n’a d’ailleurs jamais demandé de rémunération pour sa conception du siège du PCF.

Le nom d’Oscar Niemeyer est avant tout associé à Brasilia. Sortie du désert en moins de trois ans, la capitale du Brésil à l’intrépide architecture futuriste a été inaugurée en 1960. Sa construction éclair a concrétisé le destin américain de Brasilia. Oscar Niemeyer qui travaillait sans relâche avec l’urbaniste Lucio Costa sur le site, y vécut dans un préfabriqué sans confort. Il disait que c’était « comme au far-west« , que les gens se battaient pour construire une capitale, symbole de l’ouverture du pays vers l’ouest.

Né dans une famille bourgeoise de Rio en 1907, il y fit ses études aux Beaux-Arts avant de rejoindre l’agence de Lucio Costa en 1934 pour une longue collaboration. C’est sous la direction de Le Corbusier qu’il achève, en 1936, sa première réalisation, le ministère de la santé du Brésil. Il collabore à nouveau avec Le Corbusier pour le siège des Nations Unis de New York. En 1964, fuyant la dictature militaire qui a duré 21 ans au Brésil, il se réfugie en France. Grâce à l’appui de Malraux, il continue à travailler sur de grands projets.

En 1965, le Parti communiste français dont les sections de travail sont dispersées a besoin d’un nouveau siège qui permette de centraliser et moderniser ses services. Le choix se porte sur l’architecte communiste.
Dans le quartier ouvrier de Colonel Fabien, le PCF dispose de 5000 m2 de terrain, acheté à la Maison des syndicats. Ironie de l’histoire, ce terrain a déjà abrité un bâtiment d’une architecture moderne « révolutionnaire ». Au lendemain de l’exposition internationale des arts décoratifs de 1925, l’URSS avait en effet fait don aux communistes français du pavillon de l’URSS conçu par le jeune architecte Melnikov. Démonté, il avait été reconstruit là. Mais cet emblème voyant et moderne de la révolution socialiste n’était pas du goût des nazis qui le détruisirent sous l’occupation.

salle de réunion du comité central. © Lottie Brickert

Salle de réunion du comité central

La construction du siège du PCF, financée en partie par souscription auprès des adhérents s’est déroulée en deux étapes de 1965 à 1980. Dans la revue La Nouvelle Critique, Niemeyer expliquait : « Le projet du PCF demandait une architecture simple, inventive et différente, susceptible d’exprimer ce monde qui surgit sans préjugés sans injustices et que représente dans son essence l’objectif du PCF ». Il fallait également jouer avec des contraintes et notamment cacher la laideur de l’immeuble voisin, préserver de l’espace vert et assurer la meilleure protection grâce à des entrées discrètes et aisément contrôlables.

En 1975, un bâtiment de verre de 6 étages avec une courbe subtile voyait le jour. C’est Jean Prouvé, concepteur des façades « à rideaux », qui a travaillé sur cette façade de verre. En règle générale dans ce type d’immeuble, les plaques de verre ne s’ouvrent pas et l’air conditionné permet de maintenir une température constante. Mais les camarades ne voulaient pas du « confort à l’américaine ». Il a donc fallu concevoir un système d’ouverture de certaines des 324 plaques de verre pour aérer les salles.
Quant à la courbe, comme l’a montré son architecture, Niemeyer en est passé maître. Il disait d’ailleurs : « Ce qui m’attire c’est la courbe libre et sensuelle, la courbe des montagnes, des vagues de la mer, des nuages du ciel, du corps de la femme préférée ».

L’immeuble, situé à 1,50 m du sol, repose sur cinq piles massives ce qui lui donne l’impression de flotter dans l’air. On y pénètre par une porte si discrète qu’on la voit à peine. Et là, on débouche de plain-pied dans un gigantesque hall aux murs de béton brut, le foyer de la classe ouvrière. Il comprend des espaces d’exposition, une salle d’attente avec des fauteuils dessinés par Niemeyer, et des salles de réunion. Au-dessus, cinq étages de bureau. Au 6e étage, un escalier en colimaçon permet d’accéder au toit-terrasse panoramique qui offre une vue sur tout Paris.

Réglettes du plafond qui distribuent la lumière. Photo: Lottie Brickert

Les réglettes qui distribuent la lumière

Quant au dôme, achevé en 1980, il contient la spectaculaire salle de réunion du comité central, prévue pour 250 personnes. Avec sa forme circulaire et son dôme, elle a tout d’un vaisseau avant-gardiste. Ici le béton est recouvert d’une résine et peint en blanc. L’éclairage est fait par une trouée au sommet du dôme et par un jour à sa base. Des plaquettes métalliques blanches accrochés à la voute reflètent la lumière et la répartissent dans toutes les directions. Elles rappellent la matière de la robe futuriste blanche de Paco Rabanne portée par Françoise Hardy en couverture du magazine Elle en 1966.

Après avoir développé de nombreux autres projets dont les plus connus en France sont la Bourse du travail de Bobigny, la Maison de la culture du Havre et l’ancien siège de L’Humanité à Saint-Denis, Niemeyer est retourné vivre au Brésil en 1985, à la fin de la dictature. Il est mort à Rio en décembre 2012, à 105 ans. Durant les dernières années de sa vie, c’est en fauteuil roulant qu’il continuait à se rendre à son bureau pour s’atteler à de nouvelles conceptions. On l’imagine aisément devant la grande baie vitrée de son bureau ouvrant sur l’immense plage en demi-lune de Copacabana, en train de contempler « la courbe libre et sensuelle, la courbe des montagnes, des vagues de la mer, des nuages du ciel, du corps de la femme préférée » qu’il aimait tant.

Le maître de la courbe, l’architecte engagé, dont les convictions n’ont jamais failli tout au long de sa vie, laisse son empreinte partout dans le monde au travers de 600 réalisations.

Lottie Brickert

Vue du toit du siège du PCF. Photo: Lottie Brickert

Vue du toit du siège du PCF

 

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Une réponse à Oscar Niemeyer, architecte engagé, concepteur du siège du Parti communiste français

  1. Raymond dit :

    Belle histoire que celle de cet architecte, fidèle à son idéal jusqu’à la fin de sa longue vie. Dommage que l’histoire ne précise pas s’il a été inspiré par la robe de Françoise Hardy pour concevoir l’éclairage du dôme, ou par l’artiste elle-même (toute jeune à l’époque) pour imaginer sa forme courbe…

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