Et si ce n’était pas lui…

Jean-Yves le Drian le 25 octobre 2016. Photo: PHB/LSDPRare à l’écran, son visage évoque à la fois John Wayne et Bernard Blier. Une ressemblance avec les deux acteurs qu’il doit beaucoup à ses poches sous les yeux, son regard grave et blasé. Jean-Yves le Drian n’aura pratiquement rien dit en cinq ans. Alors que tout le monde commente sans cesse l’actualité, y compris les commentaires des commentaires, Jean-Yves le Drian sait tenir sa langue.

Son compte Twitter est d’une sobriété monastique pour ne pas dire décourageante. L’un des derniers en date se bornait à dire : « Avec mon homologue américain, Ashton Carter, pour revenir sur la réunion de la coalition que nous venons de co-présider. » Difficile de faire plus plat.

En ce 25 octobre 2016, il tient justement cette conférence de presse au côté de son frère jumeau, l’américain Ashton Carter. Jean-Yves le Drian, costume noir et cravate sombre, s’applique à faire un point d’étape sur les opérations en cours à Mossoul et précise qu’il n’évoquera pas la prochaine intervention sur Raqqa. Il lit son texte. Ce faisant, à chaque fois qu’il baisse la tête, ses lunettes glissent sur son nez. Par intermittence il redresse son regard pour embrasser l’assistance et replace d’un geste sa monture. La conférence de presse dure moins d’un quart d’heure. Arrivé à la moitié, il quitte la Tribune et lance « Ashton » pour indiquer à son confrère que c’est à lui de prendre la parole. Sobre.

Quel contraste avec ses homologues ! Sans parler du sautillant Premier ministre, si l’on compare Jean-Yves le Drian avec ses pairs du gouvernement, il n’y a guère que Bernard Cazeneuve qui serait à même de lui donner la réplique dans le registre si peu fréquenté du bosseur contrit. Cet air parfois accablé qui avait fait dire à Coluche à propos d’un journaliste de télévision: « Quand y a un avion qui s’écrase dans le monde, c’est sur les pompes à Roger Gicquel« .

Ce natif de Lorient, à près de soixante-dix ans, ne souhaite pas s’exprimer sur « ses convictions personnelles » ainsi qu’il l’a répondu à une question sur son appartenance ou non à la franc-maçonnerie. Le fait est qu’en ce qui le concerne, les Français ne sont heureusement pas débordés. Le journal Ouest-France s’est épuisé en 2015 à chercher quelques citations qui pourraient trahir la personnalité de ce grand taiseux. La pêche n’a pas été miraculeuse, juste quelques unités. En 2012, précise ainsi le quotidien breton, Jean-Yves le Drian ne réalise encore pas bien qu’il est le nouveau ministre de la défense. C’est ce qui lui fait dire qu’étant assis un jour de juin entre Angela Merkel et David Cameron: « j’ai dû me tromper de salle ». Présent à une étape du Tour de France, il lâchera aussi à propos de sa pratique du vélo : « en cyclisme, je suis un diesel ». Une vanne si on veut mais il n’y a pas là de quoi commencer ne serait-ce qu’un paragraphe d’une seule page de l’histoire de France. Quand il annonce sa candidature à la présidence de la Région Bretagne, son discours qui ne s’adresse qu’aux « Bretons et aux « Bretonnes » dure deux minutes et trente quatre secondes. Il quitte son pupitre sans répondre aux questions. Lorsque l’on fait en désespoir de cause une recherche sur Google en associant le mot « gaffe » au nom du ministre, rien de tangible ne tombe. Mais comment fait-il ?

En voilà un qui ne s’est jamais compromis sur les plateaux de l’infotainment qui font notamment les beaux jours d’un service public télévisuel en plein égarement éditorial. Pas plus qu’il n’a une seule fois confondu un journaliste avec un psychanalyste. Concernant les ministres qui prennent leurs distances ou trop de libertés, il aura cette phrase pour Emmanuel Macron mais qui valait sans doute pour beaucoup de monde « La seule remarque que je pourrais faire, puisque je suis presque le doyen de ce Conseil des ministres, avec mon expérience, c’est que la vie politique et en particulier lorsqu’on est membre d’un gouvernement, c’est un peu comme au football: il faut jouer collectif sinon on ne gagne pas » (Sur France Info, au mois d’avril 2016).

Il ne se passe plus guère une semaine sans qu’un hebdomadaire mette un peu n’importe qui en couverture avec cette accroche qui n’en est plus une tellement elle a servi : « et si c’était lui ». Jean-Yves le Drian ne fait manifestement pas partie des lauréats des conférences de rédaction au grand casting des possibles. « Et si ce n’était pas lui » ne ferait pas une bonne manchette de couverture encore que. La lassitude des Français devant tous ces perroquets de gauche et de droite s’égosillant depuis leurs perchoirs ou des bouquets de micros, pourrait sait-on jamais provoquer quelques ventes supplémentaires pour le journal qui s’y hasarderait. Celui qui serait le plus à plaindre au fond, c’est le journaliste en charge de l’article. Surtout s’il n’est pas breton.

PHB

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5 réponses à Et si ce n’était pas lui…

  1. philippe person dit :

    Ah ! Philippe ! JYLD !
    Là, vous m’épatez !
    Dans une autre vie, j’ai travaillé au ministère de la Mer (redevenu un secrétariat en passant de Le Pensec à Le Drian, via Guy Lengagne, Jacques Mellick et Ambroise Guellec – que des pointures !)
    J’ai donc connu, dans l’anonymat de mon petit bureau, le « jeune » Le Drian… et si on se parle un jour de vive voix, je vous dirais des choses qui contredisent votre vision positive de ce politicien qui a, l’époque, construisait son périmètre…
    Il ne m’a pas plus paru fréquentable ou infréquentable que les autres… mais je ne glisserai pas pour autant un bulletin à son nom dans une urne… comme je ne glisserai pas d’autres bulletins dans une urne…
    Quand on a fréquenté, même à la marge, des cabinets ministériels, on retient surtout le mot « cabinet »… et on lui donne le sens qu’Alceste lui donnait dans le Misanthrope à propos du Sonnet de Philinte !

  2. Marie dit :

    200% en phase avec Philippe P. La retenue de langage de JYLD ne doit aucunement être confondue avec de la modestie ou de la sobriété…

  3. Très drôle! Vous avez tout à fait raison, Philippe, de traiter sur le mode de l’humour tous ces politiciens plus lamentables les uns que les autres! C’est tout ce qu’ils méritent! Mais l’idée d’un Trump ou d’une Marine Le Pen aux commandes fait moins rire….

  4. philippe person dit :

    C’est drôle, Lise, moi, ça me ferait bien rire de voir Trump au pouvoir… Ne serait-ce que pour voir crier au fascisme tous ceux qui ont laissé Hillary et ses amis bombarder la terre entière pour le résultat que l’on sait…
    Moi, je me souviens tout ce qu’on disait de Ronald (tiens ça rime avec Donald) Reagan avant qu’il s’installe à la Maison-Blanche… Il est passé et que s’est-il vraiment passé ?
    Pour parler France, je crois que Marine le Pen, par exemple, n’aurait jamais pu matraquer les cégétistes et imposer une loi aussi régressive que la loi travail… De quoi l’aurait-on traitée ?

  5. Marie F. Laborde dit :

    Pour revenir à Le Drian, il ne s’embarrasse pas trop du cumul des mandats. Pur un discret?

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