Une femme dans la tourmente

"La peur". Photo: Olivier BrajonSi vous êtes adeptes des romans policiers et des films à suspense, nous vous conseillons de vous rendre au Théâtre Michel – petit théâtre à l’italienne par ailleurs on ne peut plus charmant – voir “La Peur”, une adaptation théâtrale de la nouvelle éponyme de Stefan Zweig. Il est bien évidemment déconseillé de lire ou relire la nouvelle avant d’assister à la représentation afin de se laisser surprendre par le coup de théâtre final. Vous ne serez certainement pas déçus par ce spectacle de divertissement de qualité, intelligemment mis en scène et brillamment interprété.

Il est vrai que les nouvelles de l’écrivain autrichien se prêtent merveilleusement bien à la scène. Nous en avons déjà eu des exemples par le passé, ainsi, pour n’en citer que quelques uns, “Vingt-quatre heures de la vie d’une femme” adapté et mis en scène par Marion Bierry au Théâtre de Poche en 1990 avec l’excellente Catherine Rich ; “La Confusion des sentiments” mis en scène par Stéphanie Tesson au Théâtre du Renard en 2001 ; “Lettre d’une inconnue” mis en scène par Christophe Lidon au Théâtre des Mathurins en 2011 avec Sarah Biasini; “La Pitié dangereuse” mis en scène par Stéphane Olivié‑Bisson au Lucernaire en 2012 – déjà dans une adaptation d’Elodie Menant – et bien évidemment l’incontournable “Joueur d’échecs” que joue André Salzet depuis plus de vingt ans. Rappelons également que, cette année, Alexis Moncorgé – petit-fils de Jean Gabin – était la révélation masculine aux Molières 2016 pour son rôle dans “Amok” dont il signait également l’adaptation.

“La Peur”, publiée en 1920, raconte une histoire qui se déroule à Vienne au début du siècle. Irène, bourgeoise trentenaire mariée depuis dix ans à un avocat pénaliste et mère de deux enfants, se sent délaissée par son mari. Pour tromper son ennui, elle a une aventure avec un pianiste dont elle partage la passion pour la musique. Mais un jour, une femme l’aborde à la sortie de chez son amant et se met à la faire chanter, lui demandant toujours plus d’argent. Dès lors, Irène vit dans la peur de se faire prendre par son mari, de se faire dénoncer par son maître-chanteur. Nous n’en dirons pas plus pour ménager l’intrigue.

Elodie Menant, adaptatrice et metteuse en scène du spectacle, choisit, elle, de situer l’histoire dans les années 50 et grand bien lui en a pris. L’apparition d’Irène dans sa jupe évasée, cintrée à la taille et perchée sur d’élégants escarpins à talons hauts nous rappelle aussitôt les héroïnes hitchcockiennes, excepté la blondeur. D’ailleurs, l’univers est ici très hitchcockien et l’on sent que le maître anglais du suspense a été une source d’inspiration importante. A tel point que lors d’une scène entre Irène et Elsa où cette dernière vient la poursuivre jusque chez elle alors qu’elle est tranquillement occupée à sa couture, une paire de ciseaux à la main, on ne peut s’empêcher de penser à Grace Kelly dans “Le crime était presque parfait”. Le décor – tout à la fois sobre et inventif –, lui, rappelle le film “Fenêtre sur cour”.

L’adaptation du texte de Zweig est particulièrement réussie en ce sens qu’elle a su restituer à travers des dialogues inventés son analyse minutieuse des personnages, des relations qu’ils entretiennent entre eux et des tourments intérieurs d’Irène. Le chantage dont la jeune femme fait l’objet, la traque infernale dont elle est victime nous tiennent constamment en haleine. Irène va-t-elle finir par avouer ? Elsa la dénoncera-t-elle ? Fritz se doute-t-il de quelque chose ? Comment tout cela se terminera-t-il ?

Si le spectacle fonctionne aussi bien, c’est aussi, évidemment, grâce à l’interprétation des comédiens, tous trois excellents : Hélène Degy (Irène), Aliocha Itovich (Fritz) et Ophélie Marsaud (Elsa). Hélène Degy est très convaincante, ses émotions sonnent au plus juste : inquiétude, peur, honte, culpabilité, colère… jusqu’au dénouement final.
Un spectacle à voir et une nouvelle à (re)lire ensuite.

Isabelle Fauvel

“La Peur” d’après la nouvelle de Stefan Zweig, adaptation et mise en scène Elodie Menant, avec Hélène Degy, Aliocha Itovich et Ophélie Marsaud.
Du 07 octobre au 31 décembre 2016 au Théâtre Michel 38 rue des Mathurins 75008 Paris, du jeudi au dimanche à 19h.

"La peur" au théâtre Michel. Photo: Olivier Brajon

« La peur » au Théâtre Michel. Photo: Olivier Brajon

 

 

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3 réponses à Une femme dans la tourmente

  1. philippe person dit :

    Si vous en avez l’occasion, il faut vous procurer le DVD de « La Peur » de Roberto Rossellini avec Ingrid Bergman. Sans doute, un sommet de la collaboration Roberto et Ingrid et une limpide adaptation de Zweig…

  2. C.BRETON dit :

    Très belle pièce en effet donc merci chère Isabelle d’avoir remis Zweig à l’honneur.
    La place parisienne ne l’a non plus oublié. On pense aux très belles interprétations seuls en scène pour « 24 heures de la vie d’une femme » et « Le monde d’hier » ayant cours actuellement dans des théâtres aussi intimistes que charmants.

  3. Ping : Et Zweig se confronta à la légende… | Les Soirées de Paris

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