Le Centre Pompidou accuse ses heures de vol

Tout comme les centrales nucléaires, le Centre Pompidou mériterait un grand carénage. Inauguré il y a tout juste quarante ans, le musée-bibliothèque exhibe les salissures de ses manches et de ses cols de chemise. La poussière, la suie, les déjections de pigeons, sont bien visibles quand on en fait le tour de près. L’éclat des premiers jours s’est indubitablement terni. Si l’objectif muséal voulu par le président Georges Pompidou est atteint, si le musée en lui-même s’est bien hissé au niveau des plus grands établissements d’art moderne du monde, l’ensemble architectural quant à lui, avoue ses faiblesses.

L’idée de départ qui consistait à se passer d’un coffrage, tel un avion sans fuselage, une voiture sans carrosserie ou un écorché anatomique, était certes originale. Tout ce qui ne se voit pas d’habitude dans un bâtiment allait faire office d’enveloppe. Les couleurs vives de la tuyauterie, une teinte par fonction (climatisation, conduites d’eau…), devaient remplacer l’habillage. Pour l’entretien au fil des années on verrait plus tard.
L’œuvre de l’architecte Renzo Piano ne pouvait que faire sensation, suscitant les compliments et les critiques les plus extrêmes. On retiendra seulement l’humour dont fit preuve l’acteur américain Robert Mitchum qui siffla d’admiration devant l’immense « distillerie« .

Dans les années soixante-dix, on ne s’embarrassait pas de scrupules. Là où il fallait un aéroport on rasait un château, là où il ne fallait rien on creusait un grand trou (des Halles), là où il fallait impérativement un musée d’art moderne, on anéantissait tout un quartier. Plus tard, le fait du prince donnerait aussi la pyramide du Louvre, la Grande Bibliothèque ou encore l’Opéra, au prix de contrats mirifiques signés avec les cabinets d’architectes retenus. De nos jours, c’est un peu plus compliqué, les Parisiens qui pourtant en ont vu d’autres depuis Haussmann,  ont tendance à penser que la vie de chantier permanent appelle la pause et pas seulement pour le bruit. S’ils ont fini par accepter et même apprécier à juste titre certaines audaces comme la pyramide, ils aiment d’abord leur ville et plus encore ils aiment la reconnaître. Un défilé d’images trop rapide fatigue.

Extérieur du Centre Pompidou

Pour les générations les plus récentes néanmoins, le Centre Pompidou a toujours été là. Les étudiants disent couramment qu’ils vont préparer leurs examens à Beaubourg dans le calme de la bibliothèque: la nostalgie de ce qu’ils n’ont pas connu leur est naturellement étrangère. Et quand ils s’aventurent à découvrir les expositions permanentes ou temporaires du musée ils ne peuvent que s’esbaudir la plupart du temps de la qualité des programmes, tout en jouissant de la vue exceptionnelle offerte par les baies vitrées.

Puisqu’il faut bien parler de ses quarante ans, le musée a vu large. L’emblème qui s’est déjà décentralisé à Metz et aussi au travers « d’annexes mobiles », va essaimer des événements artistiques partout en France, tout au long de l’année et jusqu’à Saint-Yrieix-la-Perche  en Haute-Vienne ce qui constitue une sorte d’absolu géographique. Pour son président Serge Lasvignes, l’anniversaire est « l’occasion d’aller à la rencontre de ceux qui aiment le Centre Pompidou depuis 40 ans comme au devant de nouveaux publics« . L’intention est réellement louable: pour un Parisien il est toujours facile de s’extraire du quotidien pour aller prendre un bain de culture, dans les petites villes de province c’est plus rude.

Quant à Renzo Piano, on lui devra tout bientôt la Cité judiciaire de Paris. Ceux qui passent du côté de la Porte de Clichy peuvent constater d’une part que l’édifice totémique payé au prix fort est en cours d’achèvement et que d’autre part, l’extérieur est opaque et même réfléchissant. Il eût été piquant qu’à l’instar du Centre Pompidou les voies de la justice fussent pour une fois pénétrables.

PHB

 

Les baies vitrées du Centre Pompidou reflétant les alentours

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2 réponses à Le Centre Pompidou accuse ses heures de vol

  1. philippe person dit :

    je me souviens de Beaubourg à l’époque où Jean-Louis Passek s’occupait de la programmation de la salle Garance… rétrospectives mexicaines, coréennes, japonaises, tchèques, turques ou grecques, etc… Grâce à lui, j’ai découvert le cinéma mondial…
    Avant, il y avait la salle du cinquième étage… On y croisait Carax avec Binoche… Un jour prenant l’escalier mécanique pour y monter, j’ai croisé descendant un certain Steven Spielberg… ça ne s’oublie pas…
    Et puis il y avait le musée… Grâce au passe, j’allais, entre deux films, contempler quelques De Stael… découvrir Requichot…
    Quant à la bibliothèque, on y trouvait à la fois des livres et des suédoises… De quoi passer agréablement quelques années de post-étudiant pas encore rattrapé par la vie…
    Que Beaubourg se dégrade, c’est rassurant. Quand le futur devient passé, c’est là où on voit s’il a de l’avenir…
    Merci Philippe de m’avoir permis de céder à un exercice nostalgique…

  2. Bruno Sillard dit :

    Ton papier réveille le souvenir des discours de l’époque sur ce que devait être l’architecture. Beaubourg est un essai architectural en quête de comment représenter l’image du média universel, tel qu’on cherchait à le représenter à une époque où l’on ne savait pas ce que allait devenir notre monde. Bien sûr on en avait une idée, mais ce n’était pas suffisant. Beauboug c’est l’image du monde pas encore numérique mais qui n’était déjà plus mécanique. Un monde où l’absence de tuyaux de fil et de câble est inimaginable. Où la logique même du tuyau est de nous mener de salles en salles . Aujourd’hui, notre monde est virtuel, Beaubourg, renvoie à une époque révolue, au même titre que Versailles ou le Louvres.

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