Le premier génocide du XXe siècle resurgi de l’oubli

Organisé par le IIe Reich, le génocide contre les Nama et les Herero a été perpétré de 1904 à 1908 dans le Sud-Ouest africain, alors colonie allemande, qui est aujourd’hui la Namibie. Avec environ 65 000 Herero et 10 000 Nama exterminés – soit 80 % du peuple herero et 50 % du peuple nama – ce génocide est considéré comme le premier du XXe siècle. Il est curieusement tombé dans l’oubli. Trente-cinq années avant la Shoah, il présentait pourtant les mêmes caractéristiques. Le Mémorial de la Shoah, qui voue une partie de sa programmation aux génocides en général, lui consacre actuellement une exposition bien documentée.

Photo ci-dessus: Herero décharnés retrouvés dans le désert. ©Collection J.B. Gewald/ Courtesy of Vereinigte/Evangelische Mission Archiv, Wuppertal.DR

Instauration d’un protectorat allemand en 1884
Bien que la présence de navigateurs portugais soit attestée depuis le XVe siècle dans le Sud-Ouest africain, le pays ne sera vraiment exploré par les Européens qu’au XVIIIe siècle. Les années 1840 y voient l’installation de missions religieuses allemandes et néerlandaises qui assistent aux combats incessants entre les différents peuples de la région et plus particulièrement entre Herero et Nama.

Le Sud-Ouest africain n’attise pas vraiment la convoitise des grandes puissances. Elles ne s’opposeront pas à ce que l’Allemagne y établisse un protectorat en 1884 suite à la demande d’un marchand allemand qui souhaite y installer un comptoir commercial et faire prospérer ces territoires mal connus. Dès l’instauration de l’administration allemande, les Herero s’allient aux Allemands en signant des traités pour gagner en importance et bénéficier de la meilleure protection contre les Nama. Protection que les Allemands ne se montrent pas toujours capables d’assurer malgré les premières troupes allemandes envoyées dans le pays en 1889.

Déçus par l’attitude des Allemands et leur manque de respect, les Herero se révoltent. Devant l’ampleur de la menace coloniale, ils s’allieront même aux Nama. Les représailles ne vont pas tarder. En 1893, les troupes allemandes organisent une attaque surprise sur le camp du chef nama Witbooi et massacrent 75 femmes et enfants. Cette violence ne fait pas plier les peuples opprimés. Les officiers allemands multiplient les abus. Ils se livrent au viol, aux passages à tabac et au meurtre d’Africains et spolient leurs terres en toute impunité.

Escalade de la violence
Le 12 janvier 1904, des Herero ripostent à ces exactions en brûlant des fermes et commerces allemands. Des soldats et des colons se livrent alors à des actes de lynchage et de représailles aveugles sur les Herero et les autres peuples de la région, qui, grâce aux techniques de guérilla, parviennent à résister.

L’Allemagne qui veut affirmer sa suprématie ne l’entend pas de cette oreille. Leutwein, qui présidait aux opérations militaires est relevé de son commandement et remplacé par l’impitoyable Lothar von Trotha. Le général, connu pour sa brutalité, débarque dans la colonie en juin 1904 avec 50 000 soldats pour mater les Herero à peine plus nombreux. En août, il lance la bataille de Waterberg – nom du plateau sur lequel sont réfugiés les Herero – qui initie le génocide. Cernés, les Herero sont massacrés. Leur seule échappatoire consiste à fuir vers le désert. Traqués par les Allemands, ils sont poussés de plus en plus loin dans les terres arides où ils périront de déshydratation.

Ordre d’extermination de Von Trotha (Vernichtungsbefehl), 3 octobre 1904

Von Trotha ne s’arrête pas là. Il émet en octobre 1904 un Ordre d’extermination (Vernichtungbefehl) qui enjoint les Herero à quitter le territoire et les troupes allemandes à tuer hommes, femmes et enfants. Sa conduite, condamnée par les missionnaires et critiquée en Allemagne, aboutit à la révocation de l’Ordre par le gouvernement allemand. Von Trotha fait alors enfermer les Herero dans des camps de concentration qui, comme celui de Shark Island, acquièrent très vite une sinistre réputation.

En 1905 von Trotha lance un nouvel ordre d’extermination, contre les Nama, cette fois qu’il n’arrive pas à mater. Ordre à nouveau révoqué par le gouvernement allemand. Les Nama rejoignent les camps de concentration où les conditions sont atroces. Pendant l’internement des 16.000 Herero et des Nama, les Allemands confisquent leurs terres et s’approprient ainsi 46 millions d’hectares.
Dans les camps, les détenus (hommes, femmes et enfants) succombent à l’épuisement par travail forcé, à la maladie et la malnutrition. Une opportunité pour les militaires peu scrupuleux de compléter leur solde en vendant des crânes de victimes qui seront utilisés à des fins de recherches « scientifiques » raciales en Allemagne.

Pourquoi cet oubli ?
Si le conflit prend fin en 1907, les camps ne seront vidés qu’en 1908 et les détenus ne recouvreront pas leurs terres spoliées. Herero et Nama continueront longtemps à être exploités par les colons. Il faudra attendre l’indépendance de la Namibie en 1990, date à laquelle les victimes peuvent enfin se manifester auprès de l’Etat allemand, pour que ce génocide sorte de l’oubli. Il présentait pourtant trente-cinq ans avant le génocide perpétré par les nazis des caractéristiques semblables : ordre d’extermination d’un peuple, création de camps de concentration, spoliation de biens, études pseudo-scientifiques sur des crânes pour étayer une idéologie raciale.

Après la défaite de l’Allemagne lors de la première guerre mondiale, le Sud-Ouest africain passe sous mandat de l’Afrique du Sud en 1920. Les terres spoliées étaient toujours, et, sont encore aujourd’hui, la possession des descendants des colons. Le régime d’apartheid longtemps entretenu par l’Afrique du sud permettait de faire taire toute revendication et ce silence arrangeait tout le monde. Puis, le long processus qui a mené à l’indépendance du pays a tenu le devant de la scène relayant la mémoire du génocide au second plan.

Soldats allemands empaquetant des crânes à destination des musées et universités allemandes. Ca. 1905. (dr)

Soldats allemands empaquetant des crânes à destination des musées et universités allemandes. Ca. 1905. (dr)

C’est véritablement en 2011, grâce à un événement très médiatisé que le génocide est remis sur le devant de la scène mondiale. En 2011, l’Hôpital universitaire de la Charité berlinois restitue à la Namibie vingt crânes namibiens issus de la collection de l’Institut de Pathologie de Berlin. Entre 1906 et 1907, ses chercheurs ont en effet fait venir de la colonie un nombre indéterminé de têtes nama et herero pour leurs travaux sur la supériorité de la race européenne. Dix-huit de ces crânes proviennent de têtes conservées dans du formol expédiées depuis le camp de concentration de Shark Island.

Cet événement ravive également la voix de von Trotha qui affirmait en 1904 :
«C’était, et c’est aujourd’hui encore, ma politique que d’appliquer cette force par la terreur absolue, voire la cruauté. Je détruirai les tribus rebelles en versant des torrents de sang et d’argent. C’est uniquement après un tel nettoyage que quelque chose de nouveau pourra apparaître et perdurer.» 

Aujourd’hui, ce crime de l’histoire coloniale africaine est en passe d’être reconnu publiquement par la République fédérale d’Allemagne comme génocide.

Lottie Brickert

Mémorial de la Shoah, 17 rue Geoffroy-l’Asnier, 75004 Paris. Exposition « Le premier génocide du XXe siècle, Herero et Nama dans le Sud-Ouest africain allemand, 1904-1908 ». Jusqu’au 12 mars 2017. Visites guidées sans réservation les jeudis 2 février et 9 mars 2017 de 19h30 à 21 heures.

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5 réponses à Le premier génocide du XXe siècle resurgi de l’oubli

  1. philippe person dit :

    On peut lire tout un passage sur cette tragédie dans « V » de Thomas Pynchon, son premier livre si j’ai bonne mémoire…
    Il serait temps qu’on écrive « Un livre noir du colonialisme ». Sans dédouaner les Allemands, Français et Anglais ont fait mille fois pire puisqu’ils se partageaient le continent et ne contrôlaient pas comme l’Allemagne qu’un petit bout lointain de l’Afrique du Sud…
    Dans ses films anticolonialistes, René Vauthier racontait ainsi comment les « colonnes infernales » françaises rayaient de la carte les villages africains qui n’avaient pas payé l’impôt…

  2. Raymond dit :

    Il est salutaire que l’exposition du Mémorial de la Shoah contribue à ne pas faire tomber dans l’oubli les atrocités commises par des peuples soi-disant supérieurs.
    Quant à estimer que tel peuple a fait pire qu’un autre en un lieu donné (message de Philippe), je pense que seules les opportunités historiques ont pu conduire d’autres nations à des comportements encore plus excessifs, si tant est que l’horreur puisse être graduée a posteriori

  3. Bruno Sillard dit :

    Papier salutaire des Soirées de Paris. Lors de l’exposition coloniale de 1931, on compte 8 millions de visiteurs à une époque où il fallait douze heures pour traverser la France en train. J’engage le lecteur d’aller voir le film Chocolat, qui traduit bien cette ambiance . Cela dit, le massacre des Tutsis par les Hutus au Rwanda avec la France comme guest star, c’est aussi un métier que de savoir ne pas intervenir montre que tout peut arriver même maintenant. Tiens entendu ce matin, je ne sais où en France, la police a comme consigne de confisquer les couvertures aux SDF. Un rapport avec le sujet du papier, hé bien…Euh?

  4. Nikola Krtolica dit :

    Merci Lottie pour cet article très intéressant.

  5. PIERRE DERENNE dit :

    Bernard Lugan dans « Cette Afrique qui était allemande » retrace bien l’histoire de cette époque. Histoire qui est par ailleurs, celle de toute les époques : la loi du plus fort est toujours la meilleure.

Les commentaires sont fermés.