Un baiser avec la langue au MuCEM

Au deuxième siècle avant Jésus-Christ on avait déjà le souci de se faire comprendre des touristes. De la même façon qu’encore aujourd’hui on vous explique dans le métro, en italien, en anglais et en allemand que des pickpockets peuvent être présents dans un train, sur cette Pierre de Rosette à gauche, découverte pendant la campagne d’Egypte de 1799, quelqu’un s’est évertué à expliquer un texte en deux langues et trois écritures. L’exposition en cours au MuCEM, « Après Babel, traduire », draine notre curiosité avec aisance dans les couloirs infinis de l’exercice linguistique.

Afin de mettre le visiteur en jambes, la scénographie débute par diverses représentations de la mythique Tour de Babel et pas si mythique que ça d’ailleurs quand on songe au projet Tour Triangle qui doit bientôt s’interposer entre nous et le ciel à la lisière de Paris. L’histoire de la première est dans la Bible. Elle raconte que Dieu, peu après le déluge, brouille (babel) la langue des concepteurs du projet avant de les disperser sur toute la surface terrestre. C’est ce qui expliquerait le fait que l’on parle plusieurs langues au lieu de l’adamique, langage supposé être originel. Depuis quelques milliers d’années il s’en est perdu beaucoup et on peut imaginer qu’un jour les fins capteurs d’échos fossiles nous restitueront de très vieux messages, y compris des bonnes blagues Carambar. Il n’en reste pas moins que ces traces gravées d’écritures anciennes nous touchent comme s’ils venaient de la famille.

C’est la réussite de cette exposition que nous interroger constamment sur la question de la traduction. Quels sont les langages purs apparus sans autre influence que les cris des animaux alentour et quels sont ceux qui sont le fruit de multiples voyages, évolutions et adaptations. La langue française par exemple est un mélange fascinant illustrant son histoire avec ses étymologies vikings, grecques, latines, javanaises, arabes. La posséder complètement n’est pas possible mais son usage est un bonheur jamais pris en défaut.

Le fil tissé par les scénographes de « Babel-Traduire » a été intelligemment tissé et tendu, allant d’Aristote à Tintin. Ce dernier ayant été traduit dans un nombre flatteur de langues et le mur de cette déclinaison impressionne sur les cimaises du MuCEM. Distrayante mais sérieuse, l’exposition s’intéresse également à la traduction de la parole Dieu selon les différents livres des trois religions monothéistes.

La traduction a toujours un petit côté casse-gueule si l’on veut bien se souvenir de Nicolas Sarkozy avec Hillary Clinton sur le perron de l’Elysée. Après lui avoir signifié son enchantement de l’accueillir il s’est excusé pour le « time » (le moment) alors qu’il voulait dire « weather » (la météo). Mais il y a eu des interprétations plus fâcheuses dans les relations diplomatiques.

Aspect de l’exposition. Photo: PHB/LSDP

La langue est l’ultime refuge des exilés. Lors d’une campagne électorale, le parlementaire de Louisiane James Domengeaux (1907-1988) avait fait figurer dans un tract visible au Mucem: « L’homme qui parle deux langues vaut deux hommes« . Il entendait ainsi défendre l’usage de la langue française face à la domination anglo-saxonne.

Les organisateurs de l’exposition n’ont certes pas manqué de matière pour rendre attractif l’itinéraire de leur proposition. Ils ont notamment fait appel à de célèbres traducteurs pour démontrer à la fois la complexité et la drôlerie d’une traduction. Pour transcrire Edgar Poe, ils ont affiché les versions de Baudelaire, Mallarmé et… Google, le moteur de recherche assurant (on ne sait jusqu’à quand) l’intérim de Dieu. Le début de phrase initiale est: « Once upon a midnight dreary while I pondered…« . Pour Baudelaire cela donne « Une fois, sur le minuit lugubre, pendant que je méditais…« . Mallarmé de son côté se démarque avec un « Une fois, par un minuit lugubre, tandis que je m’appesantissais…« . Quant à Google en mode algorithmique il profère: « Une fois sur un tristesse minuit, tandis que je méditais…« . De quoi jouer pendant des heures mais chacun sait ou devine combien d’auteurs étrangers ont vu leur œuvre affectée par des traductions médiocres. L’expo nous montre aussi une vidéo d’Emmanuelle Laborit aux prises avec différents idiomes qu’elle restitue en langage gestuel: l’exploit force le respect.

Face à la méditerranée dans ce carrefour de civilisations qu’est la ville de Marseille, l’exposition ne pouvait pour son projet trouver meilleur écrin que le MuCEM.

PHB

Dernière phrase de ce texte traduite par Google en anglais: Facing the Mediterranean in this crossroads of civilizations that is the city of Marseille, the exhibition could only find its best jewel case that the MuCEM

Retraduite en Français: Face à la Méditerranée dans ce carrefour des civilisations qui est la ville de Marseille, l’exposition ne pouvait que trouver son meilleur boîtier de bijoux que le MuCEM

« Après Babel, Traduire », jusqu’au 20 mars au MuCEM

L’accès au MuCEM

 

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Une réponse à Un baiser avec la langue au MuCEM

  1. AH AH AH, j ‘aime bien « jewel case » traduit par « boitier de bijoux » au lieu d’écrin!!!!!!!!

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