Une vie d’artiste

“ C’est de là que naissent les pièces. Des acteurs. De ce rêve nocturne que l’on fait chaque soir avant de tomber de fatigue. On s’endort avec ces voix. On dort avec ces corps. On réécrit avec eux dans notre sommeil. On se donne rendez-vous dans notre sommeil. C’est fantastique. C’est fantastique. On n’arrête jamais. On recommence. C’est l’amour absolu de l’art du théâtre avec eux. On veut. On les veut tous. C’est comme ça que Une vie est née. (…)” Ainsi l’auteur Pascal Rambert explique-t-il la genèse de sa pièce “Une vie”, écrite tout spécialement pour six acteurs du Français – et un enfant –, qui se joue actuellement à la Comédie-Française, dans la salle du Vieux-Colombier, et dont il signe également la mise en scène et la scénographie.

Né en 1962, Pascal Rambert est non seulement un auteur prolifique – plus d’une vingtaine de pièces de théâtre à son actif, parmi lesquelles “Le Réveil”, “John et Mary”, “De mes propres mains”, “Race”, “Argument” ou encore “Actrice” –, mais, de plus, metteur en scène, réalisateur et chorégraphe. Pendant dix ans, il a dirigé le T2G-Théâtre de Gennevilliers qu’il a transformé en centre dramatique national de création contemporaine avant de devenir, en janvier 2017, artiste associé au Théâtre des Bouffes du Nord, à Paris. Par ailleurs, il est, depuis 2014, auteur associé au Théâtre National de Strasbourg. Sa pièce phare “Clôture de l’amour”, écrite tout particulièrement pour les comédiens Audrey Bonnet et Stanislas Nordey, a connu, dès sa création en 2011 au Festival d’Avignon, un succès retentissant et fait, par la suite, l’objet de nombreuses reprises et adaptations à travers le monde.

“Une vie” ne constitue pas la première contribution de Pascal Rambert à la Comédie-Française. En janvier 2005 déjà, il avait mis en scène au Studio-Théâtre sa pièce “Le Début de l’A.”, écrite en 2000, avec Audrey Bonnet et Alexandre Pavloff. Par ailleurs, “Une vie” marque sa troisième collaboration avec Denis Podalydès : lors du Festival d’Avignon 2013, il avait confié à l’acteur la lecture de son texte “Avignon à vie” (2010) avant de créer, l’année suivante, “Répétition” avec le sociétaire entouré d’Audrey Bonnet, Emmanuelle Béart et Stanislas Nordey.

En 2016, Pascal Rambert a reçu le prix du Théâtre de l’Académie Française pour l’ensemble de son œuvre.

“Une vie” est un huis-clos… qui laisse passer les fantômes. A première vue, cette pièce semblerait répondre à la règle classique des trois unités : unité de lieu, d’action et de temps, sauf que cette dernière est un brin chamboulée… L’action se déroule dans l’ambiance a priori feutrée d’un studio d’enregistrement radiophonique. Un critique d’art dont l’érudition n’est plus à démontrer ­– l’Interviewer – reçoit en entretien un artiste de renommée internationale ­– l’Invité ­– lors d’une émission éminemment culturelle. “Toute ressemblance avec des personnes existantes ou ayant existé est purement fortuite.” serions-nous tentés d’ajouter. Deux personnalités du monde de l’art vont ainsi discuter pendant près de deux heures, s’interroger sur le sens d’une œuvre, explorer les mystères de la création… Peu enclin, au départ, à répondre aux questions de son interlocuteur, l’artiste va peu à peu se laisser aller, se livrer, tomber le masque. Car parler d’une œuvre, n’est-ce pas finalement avant tout parler de son auteur ? “Un peintre fait toujours son propre portrait. ” disait Jean Cocteau.

En remontant ainsi aux sources de son art, l’Invité sera amené à évoquer sa propre vie et à convoquer les fantômes qui ont forgé sa personnalité, sa sensibilité d’artiste : sa mère, son frère, son premier amour, l’enfant qu’il a été et son ami de toujours devenu une sorte d’imprésario et prénommé Le Diable.

Dans ce grand studio blanc violemment éclairé, l’âme de l’artiste sera donc disséquée et sa vie mise à nu. Tour à tour, apparaîtront et viendront se confier ses proches, les personnages de sa vie, et, à travers leurs échanges avec l’artiste, la réalité se fera jour, son art deviendra une évidence. La mère idolâtre, en admiration devant le fils préféré, le frère haineux et haï, la muse au prénom de fleur et à la pureté éblouissante…

Les acteurs sont tous remarquables dans ces rôles écrits pour eux : Denis Podalydès dans celui de l’Invité plutôt mutique au départ – après avoir peint une quantité impressionnante de visages et de sexes, il ne désire plus peindre que des végétaux et alors ? – ? Hervé Pierre en Interviewer un peu dépassé par la tournure que prend l’entretien, Cécile Brune, la mère hiératique, les bras chargés de pivoines, qui se laissera aller à l’impudeur face aux exigences de son fils, Jennifer Decker, l’aimée qui fut l’inspiratrice exploitée jusqu’à plus soif, Alexandre Pavloff, le frère plein de rancœur et de souffrance, Pierre Louis-Calixte, le camarade espiègle et malin en diable…

Le texte est d’une belle intelligence et parfois d’une grande crudité car il sonde l’intime sans artifice, cette part cachée de l’être qui devient matière à créer. Nous ne sommes pas loin de la psychanalyse… L’art en tant que catharsis inconsciente ? Vaste sujet…

“Une vie”, dans une langue d’une grande limpidité, nous emporte dans les limbes de la pensée créatrice. Un spectacle qu’il serait dommage de ne pas voir.

Et, une fois de plus, c’est un véritable plaisir que d’entendre un texte contemporain à la Comédie-Française, cette Maison plus que tricentenaire qui sait tout autant mettre à l’honneur les classiques d’aujourd’hui que ceux de demain. D’ailleurs, chaque saison ne voit-elle pas ses cycles de lectures d’auteurs contemporains distinguer des textes de grande qualité que nous aurons, nous l’espérons, le bonheur de voir monter par la suite au Français ?

Isabelle Fauvel

“Une vie” de Pascal Rambert, mise en scène et scénographie de Pascal Rambert.

Avec Cécile Brune (Mère de l’artiste), Denis Podalydès (Invité), Alexandre Pavloff, (Frère Amer) Hervé Pierre (Interviewer), Pierre Louis-Calixte (le Diable), Jennifer Decker (Iris) et, en alternance dans le rôle de l’Enfant : Anas Abidar, Nathan Aznar, Ambre Godin, Jeanne Louis-Calixte.

Du 24 mai au 2 juillet 2017 à la Comédie-Française, salle du Vieux-Colombier.

“Une vie” de Pascal Rambert. Photos: Christophe Raynaud de Lage

 

 

Texte publié aux Editions Les Solitaires Intempestifs : http://www.solitairesintempestifs.com/livres/617-une-vie-9782846815048.html

 

 

 

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