La femme qui rêvait d’une pilule

En octobre 1916 à New York, dans le quartier de Brooklyn, apparaît sur Amboy street, la première clinique de contrôle des naissances d’Amérique. Une file d’attente se forme, composée de femmes qui ne veulent plus de grossesses à répétition ou devoir avorter dans des conditions glauques. Derrière cette affaire, il y a l’acharnement d’une infirmière d’origine irlandaise qui veut libérer les femmes de leur statut de machine à procréer des consommateurs ou des bons petits soldats. L’auteur américain de BD Peter Bagge en a fait un ouvrage qui vient de paraître aux éditions Nada.

C’est donc l’histoire d’une enfant américaine, issue d’une famille nombreuse, et qui verra sa mère perdre l’un des éléments de sa progéniture au vu des conditions infernales d’accouchement d’une époque tout aussi fébrile que précaire. Celle qui deviendra après un premier mariage Margaret Sanger, rue d’emblée dans les brancards. Cette Amérique pudibonde, conservatrice, qui fait des femmes un élément des plus secondaires de l’humanité la révolte. Peter Bagge raconte la vie de celle qui sera de tous les combats, contre l’autorité politique, religieuse, contre la censure. Ce livre n’est pas spécialement drôle mais il est instructif pour les temps en peine d’indocilité que nous traversons. On le verra, Peter Bagge réhabilite aussi un personnage dont certaines positions à l’égard de la société n’ont pas été, à dessein, comprises.

Les humains qui s’émancipent sont toujours fascinants à observer car à travers leur libération apparaissent les carcans que l’on ne voyait pas, les prisons mentales, les asservissements, les aliénations et pour tout dire, les excès toujours recommencés de l’ordre établi. On suit avec un pli soucieux Margaret Sanger qui explique à qui veut l’entendre comment il est possible d’utiliser des moyens contraceptifs alors que ce type d’information est interdit par la loi. Au point qu’elle connaîtra les condamnations et la prison. Elle écrit dans les journaux en défiant la censure jusqu’à la tourner férocement en dérision.

Aspect de « Femme rebelle »

Dans ce combat, l’infatigable Margaret pénalise sa vie privée et ses proches. Mais elle ne cède jamais. Cette pionnière du féminisme qui rêve à haute voix d’une pilule contraceptive, sera à l’origine de sa première mise sur le marché en 1961, du moins dans certains États. Au passage, malgré un caractère difficile, elle séduit les hommes. A l’un de ceux-là qui veut l’épouser, elle précise ses conditions: elle exige des résidences « séparées » stipulant qu’elle pourra parallèlement « coucher avec d’autres hommes » si elle le veut et « quand elle le veut ». Cependant qu’elle souhaite un arrangement équitable, donnant à son futur mari, les mêmes droits d’aller batifoler quand bon lui chante. Cet accord pour le moins oxygéné entre une femme et un homme date de 1921.

Pour autant, sa grande liberté de mouvement et de pensée, alimentera des controverses. En voulant réguler les naissances y compris au sein de la population noire, elle sera taxée de racisme et même d’eugénisme négatif, bien qu’ayant bénéficié du soutien de Martin Luther King. Une conférence donnée en 1926 devant les femmes de l’organisation raciste du Ku Klux Khan fera polémique. « Effrayée », elle ne renouvellera pas l’expérience. La réception à son domicile d’un conseiller d’Hitler en matière raciale, (voir sa fiche Wikipédia) donnera encore du grain à moudre à ses détracteurs. Pourtant elle condamnera sans ambiguïté l’Allemagne nazie et Hitler fera brûler ses livres. Dans un texte écrit à la fin de l’ouvrage, Peter Bagge démonte un certain nombre de mensonges, réhabilitant celle qui avait tant fait, en dépit de certaines erreurs d’appréciations excusables, pour la cause féminine. « Elle était, écrit-il, une vraie partisane de la désobéissance civile et de la résistance passive ». Peter Bagge n’a pas failli face à ce sujet un tant soit peu casse-gueule, se défendant de faire de Margaret Sanger, décrite à l’occasion comme « égoïste » ou encore « bornée », une sainte. Il narre avec talent l’épopée d’une militante un peu oubliée de la cause des femmes et c’est tout le mérite de cet ouvrage que de nous rappeler toutes les évolutions qu’on lui doit.

PHB

« Femme rebelle », « l’histoire de Margaret Sanger », éditions Nada, 18 euros

 

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Une réponse à La femme qui rêvait d’une pilule

  1. Merci à Philippe de s’intéresser aux origines de la liberté sexuelle féminine!
    L’histoire a l’air un peu trop belle, ma si non e vero e ben trovato!

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