Cirkopolis, spectacle de haute voltige

Le cirque Eloize, célèbre troupe québécoise fondée en 1993, pose pour quelques semaines ses valises à Paris. Depuis près de vingt-cinq ans, cette compagnie renouvelle l’art du cirque où, aux arts traditionnels du jonglage et du trapèze, s’ajoutent d’autres disciplines : danse, contorsion, théâtre, mime, musique, arts visuels… Aux antipodes du cirque d’hiver Bouglione, mais proche de ce que le Monfort nous fait découvrir depuis quelques saisons maintenant, un cirque sans animaux ni clowns qui s’adresse tout autant au jeune public qu’aux plus âgés. En ce mois d’octobre, la troupe propose sa nouvelle création “Cirkopolis” au 13ème Art, le nouveau théâtre qui vient d’ouvrir ses portes fin septembre dans le 13ème arrondissement de Paris, Place d’Italie.

Comme le titre le laisse présager, “Cirkopolis” est inspiré du film de Fritz Lang “Métropolis” (1927) qui lui-même prenait pour point de départ le roman d’anticipation éponyme de Thea von Harbou. Rappelez-vous ce chef d’œuvre en noir et blanc du cinéma muet : des ouvriers travaillent “en bas”, dans les souterrains d’une gigantesque métropole de l’an 2026, pour assurer le bonheur de ceux d’“en haut” jusqu’au jour où la révolte commence à sourdre, menée par un étrange androïde…

Force est de reconnaître que le lieu se prête on ne peut mieux au propos du spectacle, théâtre ultra moderne s’il en est et dont l’installation n’est peut-être pas encore terminée. Difficile, en effet, d’imaginer “Cirkopolis” dans un théâtre à l’italienne aux chaleureuses couleurs rouge et or. A peine la porte du centre commercial Italie2 – où se situe le théâtre – franchie, les spectateurs, après avoir légèrement bifurqué sur la gauche et descendu une volée de marches, se retrouvent dans un immense hall noir et blanc d’une saisissante sobriété. Après avoir emprunté des escaliers en métal gris et longé un long couloir noir, ils pénètrent dans une salle absolument gigantesque – 900 sièges annoncés -, entièrement noire elle aussi. Face à eux se présente alors un plateau complètement nu, sans cadre de scène, aux dimensions là aussi impressionnantes. La seule note de couleur provient de la lumière bleutée des contremarches de sécurité. Une musique aux consonances métalliques se fait bientôt entendre. Ambiance futuriste garantie, au climat terriblement glacial – avec lequel la température de la salle, peu élevée ce soir de première, était on ne peut plus synchrone -.

Le spectacle commence dans une atmosphère toute kafkaïenne où des employés de bureau vêtus de gris tentent de faire face à une paperasse tout aussi encombrante qu’absurde. Le théâtre se mêle alors au mime, à la danse… On se croirait dans un film de Jacques Tati : “Playtime” pour le décor et la gestuelle, “Les Vacances de Monsieur Hulot” pour les borborygmes échangés de temps à autre. Au fil des tableaux, les personnages vont essayer d’échapper à la grisaille que représente leur dure vie de labeur par le rêve et la poésie. C’est ainsi qu’à travers une chorégraphie tirée au cordeau, des numéros d’acrobatie, plus extraordinaires les uns que les autres, vont s’enchaîner pour notre plus grand bonheur.

Le monde industrialisé et déshumanisé de “Cirkopolis” est dépeint par des lumières froides ainsi qu’une succession de projections vidéo géantes recouvrant tout le mur du fond où des lieux déserts, des villes futuristes, des rouages de machines composent les images d’un décor angoissant et étouffant. L’urbain et l’usine imposent des images gigantesques et fortes auxquelles il est impossible d’échapper. Les engrenages rappellent d’ailleurs ceux du film de Charlie Chaplin “Les Temps modernes” au milieu desquels le petit personnage de Charlot tente désespérément de se débattre.

Les quatorze acrobates danseurs sont d’une virtuosité époustouflante ! Saluons tout particulièrement les trois jeunes femmes contorsionnistes à qui nous devons nos frayeurs les plus intenses. Quelle élasticité ! Elles sont d’une souplesse à toute épreuve.

Tous les numéros sans exception sont absolument fantastiques. Ils s’enchaînent avec la plus grande fluidité, accompagnés par une composition musicale originale : femme jouant dans un cerceau, scène chorale avec un double cerceau, performances de jonglage avec des quilles, diabolo, trapèze, mât, corde… Tout y passe. Et merveilleusement. Même l’intermède où l’un des personnages mime une scène avec une robe sur un cintre est un pur moment de poésie. Du burlesque à la Buster Keaton pourrait-on dire.
Dans un dernier numéro de corde, une femme finira par s’extraire des bas-fonds pour rejoindre le monde d’en haut et nous mener à une sublime scène finale tout en couleurs, une fantaisie joyeuse et endiablée symbolisant la libération des opprimés. Les artistes sont déchaînés et le spectateur, captivé, ne sait plus où tourner son regard. Du grand art !
A voir donc, incontestablement, seul, en couple, avec des amis, en famille…, comme vous voulez, mais à voir.

Isabelle Fauvel

“Cirkopolis” par le Cirque Eloize, du 5 au 29 octobre 2017 au 13ème Art, le nouveau théâtre de la Place d’Italie, 75013 Paris.
Direction artistique et mise en scène de Jeannot Painchaud, scénographie de Robert Massicotte, avec les artistes Colin André-Hériaud, Selene Ballesteros-Minguer, Pauline Baud-Guillard, Julius Bitterling, Ashley Carr, Aaron DeWitt, Rosita Henry, Jonathan Julien, Frédéric Lemieux-Cormier, Alexie Maheu, César Mispelon, Arata Urawa, Jérémy Vitupier, Antonin Wicky.
Le teaser

 

 

 

 

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