Téhéran pile et face

Pour certaines affaires, il vaut mieux en Iran, garder son hymen intact. Si ce n’est pas le cas, le film « Téhéran Tabou », explique devant nos yeux ébahis comment revenir au point de départ. On voit notamment un jeune homme, chercher dans une sombre boutique, une paroi artificielle de fabrication chinoise. Mais il n’est pas convaincu. Nous le suivons donc dans un sous-sol crasseux. Où il tente de négocier avec un chirurgien. Lequel promet de rendre la jeune femme concernée « plus vierge que vierge« . Comme il n’est pas certain que le film reste encore longtemps à l’affiche, on ne peut qu’en recommander le visionnage.

C’est une version plutôt pessimiste de la vie à Téhéran que nous livre le réalisateur Ali Soozandeh. Son film est réalisé en rotoscopie, c’est à dire qu’il retraite des images réelles avec un filtre s’approchant du dessin animé. Sur le plan esthétique c’est plutôt convaincant, sans que cela n’entache la dimension dramatique d’une histoire heureusement émaillée de nombreux traits d’humour. L’ingrédient principal n’est ni un personnage ni un paysage urbain. Ce qui caractérise le scénario mêlant trois personnages dans la même destinée, c’est le poids (lourd) de la morale islamique affectant l’existence des habitants de Téhéran. Elle coule tout le long du film comme un fleuve épais. On l’entend telle une rumeur.

Nous voilà embarqués dans un taxi avec une femme et son fils muet. Elle se dit infirmière mais c’est une façade car elle se prostitue. A ce titre elle est en contact avec la frustration sexuelle de la population, y compris chez un responsable religieux qui s’autorise un peu de détente entre chaque conseil ou condamnation qu’il est amené à prononcer. Cette vie compliquée, surtout pour les jeunes, incite à la dissimulation permanente, à la ruse, au détournement. D’autant que si on n’y prend garde, le chemin du dévoiement peut mener en prison et jusqu’à la potence. L’atmosphère, même avec le charme du dessin superposé, nous contamine. Le réalisateur nous fait comprendre ce que vivre dans l’inquiétude, dans la crainte permanente d’une dénonciation, représente. Ainsi nous nous faisons des cheveux pour le jeune homme qui se fait contrôler à un « check-point » car nous savons que le coffre de la voiture qu’il a empruntée contient la collection de revues pornographiques du propriétaire. Mais lui semble moins tourmenté. Quelques billets glissés dans la main du contrôleur suffiront à le libérer.

Du moins telles qu’elles sont présentées dans le film, les femmes n’ont pas une vie facile. Le moindre écart de conduite repéré par une âme vigilante les conduit à la vindicte sociale, à l’opprobre, au bannissement et au statut de « pute », terme dont il faudra bien que l’on explique un jour en quoi c’est une insulte y compris en occident. Et pourtant, de l’avis-même des gens qui connaissent Téhéran, on sait s’amuser dans la capitale iranienne et même,  y organiser des orgies à l’ampleur décuplée par la pression des interdits et des tabous moraux.

Ce qui fait l’intérêt de ce film, ce sont les séquences surprenantes d’humour et aussi parce qu’il nous permet de découvrir une ville et des modes de vie dont nous ne connaissons pas grand-chose hormis quelques témoignages. S’y ajoute une dimension poétique due à la colorisation particulière des images et pour beaucoup à la valeur humaine de chaque personnage se débattant dans une société aussi restrictive que punitive. La fin, onirique mais également brutale dans son envol maudit, mérite à elle seule le dérangement.

PHB

Image extraite de « Téhéran Tabou »

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