Autopsie d’une déroute

Dans une prochaine vie, Patrick Stefanini pourrait être médecin-légiste. Il vient de prouver en 400 pages une maîtrise rare dans le maniement du scalpel, non pas pour blesser mais pour livrer une analyse implacable des causes de la mort de la droite française en 2017, avec une féroce volonté de ne laisser dans l’ombre que ce dont il est sûr que ça n’apportera rien au raisonnement.

Dans sa vie actuelle, Patrick Stefanini a exercé bien des métiers et assumé bien des responsabilités : c’est un haut fonctionnaire au parcours pas si classique où s’entremêlent des fonctions très structurées de préfet ou de conseiller d’État et des positions plus partisanes, mettant au service d’hommes et de femmes politiques une capacité de travail hors du commun, un goût prononcé pour la direction d’équipes et une réelle habileté stratégique. Stop, il n’est pas question ici de faire son hagiographie d’autant que dans le livre d’entretien qu’il vient de publier avec la journaliste Carole Barjon, il ne manque pas de souligner lui-même les faiblesses et les erreurs qui ont été les siennes. Au cours de la dernière campagne présidentielle mais pas seulement.

Patrick Stefanini a été le directeur de campagne de François Fillon pendant la primaire de la droite et pendant trois mois après cette primaire, jusqu’à sa démission en date du 3 mars 2017, effective le 6 : les dates ont leur importance dans ce récit de l’histoire immédiate.

De ce livre sorti le 23 novembre dernier, la rapidité journalistique a retenu quelques anecdotes comme la facilité de paiement accordé à un Nicolas Sarkozy ayant, une fois encore, dépassé son budget ou les fanfaronnades enfantines de « son » candidat ravi d’être reconnu dans la rue. Son récit livre cependant beaucoup plus qu’une kyrielle de potins de campagne. C’est une dissection dense, précise, sans indulgence d’un parcours long de plus de trois ans qui devait conduire à une élection imperdable. A ce qu’on disait. Et à ce qu’on disait beaucoup entre le 27 novembre 2016, deuxième tour de la primaire de la droite, et le 25 janvier 2017, date de parution du Canard enchaîné révélant ce qui deviendra le « Penelopegate ».

En fait, toute la droite jugeait l’élection imperdable avant même l’issue de la primaire. Le rejet du Président Hollande servait alors d’assurance à l’alternance. Et c’est là que, bien au-delà de la seule campagne de François Fillon, Patrick Stefanini offre une analyse de l’intérieur des erreurs de la droite, de toute la droite et de toute la droite des vingt-cinq dernières années. Il éclaire le passé récent de cette plus longue histoire. Parce que Stefanini a fait plus que la campagne de Fillon : il a longtemps travaillé sur le découpage des circonscriptions au ministère de l’intérieur et au RPR, il a travaillé pour le candidat Chirac à la mairie de Paris et à la présidentielle et encore à celle de Valérie Pécresse (lors de sa candidature à la région Ile de France) ; il connaît bien Sarkozy pour s’être opposé à lui dans le duel Chirac-Balladur et pour lui être reconnaissant de lui avoir ouvert grand les portes du corps préfectoral ; il sait enfin – et pas seulement pour avoir été condamné avec lui – à peu près tout du parcours d’Alain Juppé.

Voilà donc plusieurs décennies qu’il travaille avec le personnel politique de droite, toutes générations confondues. Ils sont trop nombreux ceux qu’il a côtoyés pour qu’il s’attarde à faire le portrait de chacun d’eux. Certains portraits sont emplis d’estime et de sympathie. D’autres plus sévères – plaisamment d’ailleurs, plus les portraits sont brefs, plus ils sont saignants – ne transforment pas pour autant le livre en règlement de comptes.

On sent d’abord un regret de devoir dire aujourd’hui comment la droite, lui compris, s’est fourvoyée en amont de cette dernière présidentielle. Quand Stefanini parle de cette droite, il ne pense pas qu’aux candidats à la primaire, ni même au candidat issu de la primaire. Il décortique l’aveuglement d’un système face à l’évolution de la société française, aveuglement qui doit, selon lui, beaucoup mais pas tout aux querelles de chapelles internes. Il s’interroge sur le choix des valeurs et le sens que l’on doit leur donner, faisant de la liberté la première d’entre elles. Il s’interroge aussi sur la place de la morale en politique : en a-t-elle une ? peut-elle être collective et objectivée ? comment répondre à la demande des électeurs dans ce domaine ?

On s’étonne ensuite de ce qu’à aucun moment, il ne rejette la faute sur les médias, les sondeurs, les adversaires. Non, il cure jusqu’à l’os et il met et remet en question le cheminement de sa famille politique et les nombreux embranchements ratés.

Enfin, ainsi remises dans ce contexte, et éclairées par un projecteur au large faisceau, les faiblesses du candidat François Fillon paraissent dans toute la crudité de l’exercice de dissection. Patrick Stefanini ne s’acharne pas, n’accable pas, il distille. De toute façon, pour lui, il est clair qu’il n’y avait pas de plan B ou, à tout le moins, qu’aucun plan B n’aurait sauvé la droite.

C’est subtilement que Stefanini esquisse le portrait d’un homme qu’il ne connaissait guère avant 2013 : un homme secret qui savait depuis longtemps que le Canard enchaîné l’avait en ligne de mire et qui ne l’a pas dit à son entourage, se privant de précieuses semaines qui auraient permis de préparer une contre-offensive ; un homme trop confiant pour chercher à séduire ailleurs que dans son cercle immédiat alors qu’une campagne électorale n’est rien d’autre qu’une vaste entreprise de séduction ; un homme sans reconnaissance pour le chef d’entreprise qui sillonne la France entière pour mobiliser le monde de l’entreprise (« je ne cherche pas à me faire élire au Medef… ») ; un homme qui use et abuse de la patience de son équipe de permanents, dévoués, épuisés et rarement remerciés… L’ensemble est assez dévastateur pour l’individu.

Qu’importe finalement : l’essentiel de ce récit est ailleurs. Ces 400 pages racontent sans outrance mais avec la précision de l’expertise médicale ce qui était déjà inscrit dans un texte aussi bref que terrible, celui de sa lettre de démission. Elle figure en annexe du livre.

Marie. J

Déflagration. Dans le secret d’une élection impossible, Patrick Stefanini avec Carole Barjon. Editions Robert Laffont. 404 pages.

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Une réponse à Autopsie d’une déroute

  1. Isabelle Fauvel dit :

    Merci, Marie, pour ce beau et précis compte-rendu. Ah ah, je sais à qui je vais l’offrir!

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