Mariana, la rétive

Ce n’est pas forcément simple d’être amoureuse d’un homme au passé trouble. Pas plus qu’il n’est évident d’être la fille d’un homme dont le rôle sous la dictature chilienne est entaché de compromissions. Mais Mariana fait front. C’est elle qui donne le titre au film de la réalisatrice Marcela Said, sorti le 13 décembre. Les salles qui le distribuent sont de plus en plus rares (3 encore à Paris cette semaine), mais le jeu qui consisterait à s’obstiner pour le voir, en vaut la chandelle.

« Mariana » est un film intéressant surtout dans le contexte de misandrie actuel où chaque homme n’est plus qu’un vilain mammifère bon à égorger sans procès. Le film se passe au Chili, dans cette Amérique du sud où le terme « macho » n’est pas une insulte mais pris dans son sens premier, c’est à dire un comportement exclusivement masculin que chaque homme est libre de dévoyer ou d’anoblir.

Mariana (parfaite Antiona Zegers) appartient d’évidence à l’aristocratie chilienne. Elle fait même partie d’un conseil d’administration où les décisions se prennent sans elle. Mais à 42 ans , l’âge du personnage dans ce film, elle se cabre. Elle ne veut plus signer de procuration à l’aveugle, elle veut avoir les informations, elle veut avoir son mot à dire et précise même en articulant chaque mot: « je n’aime pas que l’on me donne des ordres ». Son père est un mâle dominant qui a du mal à comprendre que sa fille ne soit pas davantage soumise comme la tradition le veut. Son mari, à peine plus ouvert que son beau père, a un mal fou imposer son point de vue. Il n’y a que son professeur d’équitation qui s’en tire parce qu’il l’attire. Un bel homme grisonnant dont les façons littéralement cavalières lui vaudraient actuellement les foudres de Twitter. Il pose sa main sur le ventre de Mariana pour lui expliquer comment respirer, il laisse ses mains s’appuyer sur les cuisses de la jeune femme pour lui montrer comment elle doit tenir son cheval avec ses jambes. Elle le laisse faire avec un sourire amusé parce qu’il lui plaît. Et elle entend faire ce qui lui convient, avec lui comme avec d’autres. Notamment lorsqu’elle « s’offre » à un policier qui poursuit les collaborationnistes de l’ex-dictature chilienne. Elle boit, elle fume, elle supporte aussi des injections quotidiennes dans le but d’avoir un enfant.

Mariana est un personnage attachant notamment parce qu’elle tient bon. Elle comprend que le passé des trois hommes qui comptent dans sa vie, son père, son mari, son amant, n’est pas reluisant. Mais on n’en saura pas plus car la réalisatrice, habilement, ne nous dévoile presque rien. La suggestion fonctionne suffisamment pour que l’on participe à cette tension qui se manifeste par des fluides invisibles. Et l’héroïne laisse aux hommes leurs affaires d’hommes avec une distance qui en dit long. L’histoire se déroule au Chili mais la réalisatrice précise dans une note d’intention qu’elle aurait pu tout aussi bien se dérouler dans un autre pays d’Amérique du Sud.

Mariana gagne parce qu’elle compose. Elle se faufile au milieu de cet écheveau masculin, elle apprend à prospérer dans ce milieu où le réflexe de domination est autant un mur qu’une faille. Pour autant elle ne saccage pas les règles, mieux elle s’en affranchit dans les limites de l’acceptable, ce qui lui permet de survivre. Parce qu’il aborde le sujet difficile de la dictature, parce qu’il présente une société où la femme est surtout priée de se taire, parce qu’une femme tire à la fois plaisir et tristesse de ce lointain biotope, il a été écrit ça et là des critiques à la fois laudatives et un brin gênées. Merci pour le dérangement aurait-on envie de conclure face à d’autres films où le malaise est parfois si bien ficelé que tout l’emballage en devient louche.

PHB

Mariana avec son professeur d’équitation

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