D’un prince à l’autre : Louis de Gonzague Frick et Paul Fort

Les étals des bouquinistes sont souvent des malles aux trésors pour les explorateurs curieux. Parmi nos dernières découvertes : une plaquette de 43 pages des éditions Flammes Vives « Hommage à Paul Fort, prince des poètes ». Elle fut publiée à Paris en 1952, à l’occasion des 80 ans du poète. Si la renommée de Paul Fort est encore relativement importante, c’est sans doute en grande partie grâce à Georges Brassens qui mit en chansons plusieurs de ses poèmes, en particulier Le Petit cheval (« Qu’il avait donc du courage… » ) aujourd’hui enseigné dans les écoles primaires.

Ce n’est certainement pas comme représentant d’une avant-garde quelconque que Paul Fort a marqué la vie littéraire de son temps, mais plutôt comme directeur de revue ( Vers et Prose) et comme poète, héritier des symbolistes, désireux de perpétuer une certaine tradition française faite de simplicité et de lyrisme. Quant à son titre de Prince, décerné en 1912 par cinq journaux, il le gardera jusqu’à sa mort en 1960.

A lire les témoignages des soixante signataires de l’ouvrage, on sera surpris par leur diversité. Beaucoup sont aujourd’hui oubliés, mais on relèvera les noms de Georges Duhamel, Jules Romains et même… Georges Simenon. Le romancier liégeois y raconte une anecdote assez touchante : « Lorsque j’avais dix sept ans et que j’étais jeune journaliste j’ai appris l’arrivée à Liège du poète Paul Fort (..) je me suis précipité à la gare. C’est moi qui ai eu la joie ce jour-là de le recevoir à Liège, de le conduire à son hôtel et de le piloter dans les rues. C’est probablement un des souvenirs les plus glorieux de mon adolescence ».

Mais le témoignage le plus précieux est pour nous celui de Louis de Gonzague Frick, poète rare et personnage singulier. On sait qu’il fut l’ami indéfectible d’Apollinaire dont il avait été le condisciple au collège Saint Charles de Monaco. Ce dernier lui dédia notamment le poème d’alcools « Lul de Faltenin ». Épris de tournures anciennes et souvent archaïques, de mots rares, voire de néologismes, portant monocle, vêtu avec recherche et raffinement, il fut un seigneur des Lettres françaises, comme le note le critique Sarane Alexandrian. Si Louis de Gonzague Frick (c’est son vrai nom et son vrai prénom) n’a pas rencontré la notoriété du grand nombre, son nom apparait très fréquemment dans l’une ou l’autre des revues littéraires qui fleurirent dans la première moitié du XXe siècle. Il n’est pas rare non plus de le voir cité et encensé par les autres écrivains, comme Jean Cocteau  : « Votre nom singulier orne l’héraldisme de toute une noblesse des Lettres Françaises. Il n’est pas un jour sans qu’Apollinaire ou Max Jacob ne le prononçassent en ma présence, avec une sorte de respect tendre et mystérieux » (préface d’Oddiaphanie).

L’hommage de Frick à Paul Fort est très représentatif de son style si particulier. En voici de larges extraits. Le recours au dictionnaire n’est pas superflu, pas plus que l’utilisation des ressources des sites informatiques : « Il va de soi que j’ai étudié une partie de l’œuvre de Paul Fort connu aux temps homériques de la Closerie des Lilas et rencontré chez Guillaume Apollinaire où mon huit-reflets suscitait en son esprit, vif comme comme une chevauchée de ménades, les réflexions du célèbre gynophile qui amusaient les hôtes de l’auteur du Cortège d’Orphée… »
Et encore : « C‘est à lui, écrivain de sentiment et de panache, chevalier du vers blanc encastré dans un paragraphe décuplement français, que je dois d’avoir composé devant le délicieux Modigliani mes madrigaux hausmaniens, mes sonnets estrambotes, quelques iambiques sénaires pour la Bouquetière des Innocents. Elle les accepta avec une gentillesse choknosof, sans doute sur la recommandation de M. Francis Carco, d’une élégance à faire trembler nos plus distingués diplomates ».

Pour peu que l’on s’intéresse un tant soit peu aux personnages hors du commun qui ont animé la vie littéraire en France au XXe siècle, on se penchera avec plaisir sur l’œuvre de Louis de Gonzague Frick : une dizaine de plaquettes poétiques publiées entre 1915 et 1952 et un nombre très important d‘articles de revues. Lui-même en dirigea quelques-unes, dont Solstices et Les Écrits Français et il fut le maître à penser de l’école poétique du Lunain, cette dernière tirant son nom de la rue qu’habitait le poète dans le 14e arrondissement de Paris.

Beaucoup des ouvrages de l’écrivain portent des dédicaces rédigées dans un style précieux et cérémonieux. La chose plaisait beaucoup à Apollinaire au point que ce dernier lui attribua le titre de « prince de la dédicace ». Il y a peu d’études sur Louis de Gonzague Frick (qui pour la petite histoire apparaît dans le film de Jean Vigo « Zéro de conduite »). On retiendra surtout l’excellent dossier de la revue « Supérieur Inconnu » parue en 2001. La publication récente d’une travail universitaire aux classiques Garnier, malgré (ou plutôt… à cause de) la surabondance des références, et la pléthore de citations, nous a laissé sur notre faim : le prince Louis de Gonzague attend encore son couronnement. Il arrivera fatalement un jour ou l’autre.

Gérard Goutierre

Image d’ouverture: Extrait de la revue Hommage à Paul Fort collection/ G. Goutierre

 

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Une réponse à D’un prince à l’autre : Louis de Gonzague Frick et Paul Fort

  1. Claude Debon dit :

    Je réagis bien tard, cher Gérard, mais le jour de la chronique je n’ai pu accéder à ce commentaire. Je veux seulement approuver et regretter aussi l’effort gigantesque et totalement inutile du livre paru chez Garnier, illisible. Dommage. LDGF méritait mieux. C. Debon

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