Loupot à l’heure de l’apéritif

Il est bien rare qu’un détaillant Nicolas vous aiguille sur une exposition artistique. Et pourtant ces vieux négociants en vins ont une bonne raison pour cela. L’affichiste Charles Loupot (1892-1962) est actuellement exposé à la bien jolie bibliothèque Forney dans le Marais. Il est à l’origine (ci-contre), en 1927, d’une remarquable publicité pour le célèbre caviste. La dose d’abstraction, la géométrie savante et enfin l’utilisation qu’il fait des couleurs dans les premières maquettes, hissent cet artiste au niveau des plus grands.

Près de dix ans plus tard, Charles Loupot est approché par Raphaël, présenté ici comme un « industriel » de l’apéritif, ce qui est amusant. Si l’on oppose en effet l’ivresse industrielle à la cuite artisanale, cela ouvre aussitôt des champs de réflexion pouvant déboucher sur plusieurs tournées consciencieuses avant de venir à bout du sujet. Toujours est-il que là encore Charles Loupot fait mouche avec des affiches modernes, chatoyantes, très inspirées, qui ne s’exonèrent pas pour autant de leurs objectifs commerciaux. Sonia Delaunay s’était essayée au genre avec quelques essais mais moins de succès concrétisés.

Cette exposition est une balade dans le temps car rien n’illustre mieux la chronologie d’une époque que les publicités qui accompagnent son déroulement. Et comme la bibliothèque en présente une centaine, l’agenda des tendances qui nous est présenté s’avère être des plus larges.

Il y a par exemple une affiche publicitaire pour Sable d’Or les Pins, une station estivale des Côtes d’Armor dont le succès n’a pas duré mais dans les années trente il était impossible de le prédire. À noter que les Gallo-Romains avaient déjà essayé de s’installer dans le coin avant de replier les gaules, jeu de mos à peu près aussi inévitable qu’un nid de poule dans une rue parisienne. On y donnait paraît-il des fêtes somptueuses du temps de Charles Loupot mais la crise de 1929 aura raison de l’initiative. Comme quoi il est nécessaire dans la vie de prendre le temps de rigoler tant que c’est possible ce qui est là aussi une remarque relevant des propos dits de comptoir. Mais l’affiche elle, est passée à la postérité.

Revenons à ce temps où les publicités se concevaient à partir de crayons et de pinceaux ce qui n’est pas forcément une injure à l’encontre de celles réalisées aujourd’hui sur des ordinateurs et jusqu’à des hologrammes qui danseront bientôt dans nos rues sous nos yeux ébahis. D’ici-là, la bibliothèque nous offre de beaux sujets de rêveries rétrospectifs comme les chemises Weith, les automobiles Voisin et les cols Van Heusen. Ou encore cette belle affiche pour la peinture Valentine qui pouvait déclencher de brutales envies de couleurs.

Voilà enfin une exposition à l’abri de toute polémique ce qui contribue à nous reposer les yeux. Et à méditer sur cet artiste ayant profité des besoins de la réclame pour y déployer tout son talent et même son génie. Elle est itinérante après avoir débuté en 2016 au Musée de l’imprimerie et de la communication graphique à Lyon. Et elle fera l’ouverture, en 2019, du nouveau musée de l’imprimerie Maury à Malesherbes (Loiret). La parisienne dure jusqu’au 26 mai et ce serait dommage de l’éviter. L’apéritif en scénographie muséale n’est pas si courant.

PHB

Bibliothèque Forney, 1 rue du Figuier Paris 4e, métro Saint-Paul ou Pont-Marie

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