Idylle sous le soleil enchanteur de l’Italie

L’affiche française, reconnaissons-le, n’avait pourtant pas de quoi attirer particulièrement l’attention : un immense fond bleu sur lequel se dessinent deux visages masculins tournés vers le ciel, pris en contre-plongée, et que l’on distingue à peine. Aucun nom en gros caractères. Rien pour captiver le regard du quidam non averti. Et puis, il y eut cette 90ème cérémonie des Oscars où deux hommes radieux rivalisèrent de beauté et d’élégance sur le tapis rouge : le tout jeune et pimpant Timothée Chalamet, nouvelle coqueluche d’Hollywood, tout de blanc vêtu, et le magnifique Armie Hammer dans un smoking de velours grenat des plus seyants. Il aurait fallu être aveugle pour ne pas les voir. Tous deux venaient représenter le film de Luca Guadagnino “Call me by your name” dont ils étaient les acteurs principaux et qui concourait pour quatre statuettes. On ne pouvait rêver meilleure publicité ! Découvrir l’histoire d’Elio et Oliver devenait soudain une absolue nécessité.

Objet de quatre nominations (meilleurs film, acteur – pour Timothée Chalamet dans le rôle d’Elio donc – adaptation et chanson), “Call me by your name” repartit ce dimanche 4 mars 2018 avec une statuette et non des moindres. L’Oscar du meilleur scénario adapté fut, en effet, attribué ce soir-là à James Ivory pour son adaptation du roman éponyme d’André Aciman, film dont il était également coproducteur, c’est dire son investissement dans le projet. Le plus anglais des cinéastes américains, bientôt nonagénaire, voyait ainsi couronnés ses débuts de scénariste. Le réalisateur qui, dans les années quatre-vingt et quatre-vingt-dix, nous avait régalés de chefs d’œuvre on ne peut plus bristish tels que “Chaleur et Poussière”, “Chambre avec vue”, “Maurice ”, “Retour à Howards End” ou encore “Les Vestiges du Jour” pour ne citer que les plus célèbres, s’était fait plus discret depuis la disparition en 2005 de son producteur et compagnon de toujours Ismail Merchant et celle, en 2013, de sa fidèle scénariste Ruth Prawer Jhabvala.

Son retour sur le devant de la scène ne pouvait présager que le meilleur. Celui qui avait su porter à l’écran avec tant de talent l’œuvre si sensible du romancier britannique Edward Morgan Forster s’était attelé à l’adaptation du premier roman du journaliste et professeur de littérature américain d’origine italo-turque André Aciman, grand spécialiste de Proust, dont l’œuvre avait remporté le prix Lambda Literary du meilleur roman gay 2007. Cette chronique de l’éveil d’un jeune homme à l’homosexualité pouvait trouver des similitudes avec l’histoire de “Maurice” où un jeune bourgeois londonien découvrait, à l’époque victorienne, son attirance pour une personne du même sexe.

Pour “Call me by your name”, direction l’Italie dont est également originaire le réalisateur Luca Guadagnino, connu principalement pour ses documentaires et son remake de “La Piscine”, “A Bigger Splash”. Plus précisément, l’Italie du Nord où les Perlman possèdent une splendide villa du XVIIème siècle et passent chaque été leurs vacances. Monsieur Perlman, éminent professeur spécialiste de la culture gréco-romaine y reçoit tous les ans un universitaire pour l’assister dans ses recherches. L’été 1983, ce sera Oliver, un séduisant Américain à la beauté sculpturale et insolente qui prépare son doctorat. Elio, fils unique des Perlman, adolescent de 17 ans, encore innocent sexuellement, ne tardera pas à tomber sous le charme.

En 1970 déjà, Vittorio De Sica nous dépeignait dans ce chef d’œuvre absolu qu’est “ Le Jardin des Finzi-Contini ” les amours d’une jeunesse dorée et insouciante, issue de la haute-bourgeoisie juive. Rappelez-vous : Dominique Sanda, Lino Capolicchio, Fabio Testi, Helmut Berger…Ils étaient tous plus beaux les uns que les autres. Vêtus de blanc, ils se déplaçaient en bicyclette et jouaient au tennis. Mais c’était dans les années 30, en pleine ascension du fascisme et le pire se préparait.
Ici rien de tel. La note est beaucoup plus légère. Pas de nuage à l’horizon. Tout comme dans le film de Mike Newell “Avril enchanté”, le radieux soleil de l’Italie est propice au bonheur et aux amours naissantes.

Les Perlman eux passent leur temps à lire, jouer de la musique classique, fumer et… boire du jus d’abricot. L’abricot revêt d’ailleurs ici son importance puisque c’est grâce à ce fruit que nous sera dévoilée, dès les premières scènes, l’instruction aiguisée d’Oliver. Dans un bel élan oratoire, l’Américain, plutôt mutique le reste du temps, nous apprendra dans les moindres détails l’origine étymologique du mot “abricot”. Après, plus rien. Mais c’est désormais acté, Oliver est intelligent et cultivé. Heureusement pour la crédibilité du personnage, l’acteur n’a pas le regard bovin.
Elio, lui aussi, est intelligent et cultivé. Polyglotte, il parle couramment anglais, français et italien. Il aime les livres, étudie la musique, joue du piano et de la guitare.
Le cadre posé, on assistera à la naissance de l’attirance d’Elio pour Oliver, puis de leur romance. Les acteurs sont très justes et le thème du premier amour, universel. Il faut reconnaître que le comédien Armie Hammer dans le rôle d’Oliver est ici d’une beauté à couper le souffle. Un corps d’athlète digne d’une statue grecque – tiens, ça tombe bien –, un bronzage impeccable, une dentition à la blancheur et l’alignement plus que parfaits – un véritable défi pour tout orthodontiste qui se respecte –, un sourire ravageur – merci à l’orthodontiste –, c’est bien simple, on ne voit que lui. A cela s’ajoutent une assurance et une désinvolture typiquement américaines. Armie Hammer prend toute l’image, comme Oliver va occuper toute la place dans la vie de l’adolescent. Et la caméra le suit amoureusement dans ses moindres faits et gestes.

Ce qui ne pourrait être qu’une fascination pour un aîné qu’il souhaiterait prendre pour modèle devient vite pour le jeune Elio une source de désir, de joie et de souffrance. Pour se rassurer, l’adolescent séduit Marzia, son amie d’enfance, tandis qu’Oliver flirte avec une Italienne. Mais son inclination pour le bel Américain sera la plus forte…
Malgré un aspect un brin caricatural et quelques invraisemblances – voire certaines scènes au déroulement plus que prévisible –, le film se regarde sans déplaisir. Il faut dire que tout y est beau et qu’il est difficile de ne pas être sensible à la beauté. Un somptueux livre d’images à la gloire qui plus est des vacances en Italie, tout comme “Beauté volée” de Bernardo Bertolucci en 1996 suscitait chez le spectateur charmé l’envie de s’envoler sans plus attendre pour la Toscane.

La musique revêt également une grande importance dans ce film – Ah… « Words », le slow de F.R. Davis, grand succès de l’été 1982 ! Souvenez-vous : « Words don’t come easy to me / How can I find a way to make you see I love you / Words don’t come easy… » –. Et puis il y a fort à parier que « Mystery of love », la chanson composée spécialement par Sufjan Stevens pour le film soit le prochain tube de l’été. Gageons également que la phrase prononcée par Oliver “Call me by your name and I’ll call you by mine” ne tardera pas à devenir une réplique culte. Une bluette certes, mais pas des plus désagréables.

Isabelle Fauvel

“Call me by your name”, un film de Luca Guadagnino (sortie 2017) avec Timothée Chalamet, Armie Hammer, Michael Stuhlbarg, Amira Casar et Esther Garrel
Bande-annonce

“Appelle-moi par ton nom” (“Call me by your name”, 2007), un roman d’André Aciman. Editions Grasset. Traduction de Jean-Pierre Aoustin

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3 réponses à Idylle sous le soleil enchanteur de l’Italie

  1. Philippe Person dit :

    Terrible, ce titre en english… Presque discriminant… enfin, je pense que ça connote ce film chichiteux…
    Le roman avait été traduit en 2007 sous le titre « Appelle-moi par ton nom »… Gageons qu’il sera désormais en librairie lui aussi dans la langue des barbares…
    Je dis « barbares » en hommage à Eugène Green, né à Boston, et grand défenseur de la langue française qu’il honore sous toutes ses formes… Et notamment par des films qui valent bien plus que ceux de Luca Guadagnino. Je garantis aux intrépides une très mauvaise surprise s’ils voient « A bigger Splash » bien loin de la pistoche de notre enfance avec Romy… Un des pires nanars de ces dernières années…

  2. Lise BM dit :

    Précisons que  » A Bigger Splash » est le titre de l’un des plus fameux tableaux de David Hockney (1966).

    • Philippe Person dit :

      Mais le film de Luca Guadagnino n’a rien à voir puisque c’est une adaptation de La Piscine de Jacques Deray. Ce qui renforce la bêtise de ne pas traduire le titre en français
      A Bigger Splash, le vrai, est un film anglais de Jack Hazan. Un bien meilleur film et avec évidemment David Hockney lui-même !

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