Mai 68 en images et en expos

Alors que l’on commémore cette année le cinquantenaire de mai 68, les expositions sur le sujet pullulent. Les musées, les galeries, les mairies d’arrondissement… chacun y va de son mai 68. A noter trois expositions passionnantes et complémentaires : “Icônes de mai 68 Les images ont une histoire” à la BnF François-Mitterrand, “Gilles Caron Paris 1968” à l’Hôtel de Ville et “68, Les archives du pouvoir” aux Archives nationales. C’est l’occasion rêvée pour de nouvelles générations de découvrir un passé pas si lointain et d’approfondir une page de notre histoire.

L’exposition qui se tient actuellement à la BnF François-Mitterrand s’ouvre sur une frise chronologique qui reprend jour par jour les faits de l’époque de manière on ne peut plus pédagogique. 1er mai : première manifestation autorisée pour la Fête des travailleurs sous la Vème République organisée par le Parti communiste et la CGT ; 2 mai : journée anti-impérialiste organisée à Nanterre par le mouvement du 22 mars et fermeture de la faculté, meeting à la Sorbonne en réaction à la fermeture de Nanterre, arrestations d’étudiants, d’employés et d’ouvriers et manifestations dans le Quartier Latin (une centaine de blessés), appel à la grève dans l’enseignement supérieur; 4 et 5 mai : condamnation des manifestants du 3 mai et appel à manifester le 6 mai ; 6 mai : manifestations multiples, heurts violents dans le Quartier Latin, grèves lycéennes et grèves de solidarité en province… et ainsi de suite jusqu’au retour à l’ordre. Un rappel des faits bienvenu.

Puis, l’exposition s’attache tout particulièrement aux images et à leur utilisation médiatique, voire parfois à leur détournement, qui les hissera au statut d’icônes, telle la célèbre photographie de Gilles Caron montrant un jeune Daniel Cohn-Bendit goguenard face à un CRS ou la blonde et hiératique Caroline de Bendern, lors de la manifestation du 13 mai, juchée sur les épaules d’un camarade, un drapeau à la main, telle “La Liberté guidant le peuple” de Delacroix, immortalisée sous l’objectif de Jean-Pierre Rey comme la “Marianne de Mai 68” (ci-contre). Une salle met l’accent sur l’amnésie des médias quant à la pratique de la couleur pour ne retenir à l’avenir que les photographies en noir et blanc et une autre, sur la faible couverture médiatique de la “nuit des barricades” qui fit pourtant, les 10 et 11 mai, plus de trois cents blessés.

Par ailleurs, nous apprenons que, parallèlement aux grands médias, des collectifs de photographes s’étaient organisés et montraient une approche alternative des événements. Ainsi, à la demande du club photographique de Paris “les 30 X 40”, étaient exposées anonymement et quotidiennement rue Mouffetard les dernières images prises. Fin juin, 250 photographies sur les 3000 envoyées feront d’ailleurs l’objet d’une exposition : “Paris Mai 68”. Dans la même idée, les photographes Jean Pottier et Jacques Windenberger créèrent un diaporama “Mai 68 – Nous” qui, par un retour en images, en textes et en chiffres, décrivait les conditions de vie des Français avec pour objectif de susciter un débat citoyen et d’analyser les causes profondes de la crise.
Cette exposition, particulièrement bien conçue, permet d’aborder mai 68 sous un angle original, tout en faisant la part belle aux images. Des images fortes. Des images de manifestants, de barrières de CRS, de scènes d’affrontements et de poursuites, de discussions enflammées dans des amphis, de sit-in dans un stade ou des universités, de piquets de grève, de slogans, d’amoncellements de pavés et de voitures brûlées, de rues encombrées de poubelles…

L’exposition de l’Hôtel de Ville, dans une scénographie un peu plus brouillonne, se concentre, quant à elle, sur le travail du photographe Gilles Caron (1939-1970). Débordant un peu la thématique de mai 68, elle s’ouvre sur de très belles photos en noir et blanc que le jeune homme prit de célébrités du cinéma, de la chanson et du showbiz dans les années soixante : Jean-Louis Trintignant, Mireille Darc, Françoise Hardy, Jane Birkin, Romy Schneider, Brigitte Bardot, France Gall, Johnny Hallyday… pour se clore sur le drame du Biafra avec des images insoutenables d’enfants faméliques. Entre les deux, cinq sections sont consacrées aux événements de mai : une succession de portraits imposants du général de Gaulle comme autant d’études d’expression d’un homme vieillissant en proie à l’inquiétude, le campus de Nanterre et les bidonvilles avoisinants avec ses ouvriers immigrés algériens, le rituel de la manifestation quelle que soit l’obédience politique ou syndicale – le 27 mai stade Charléty à l’appel de l’UNEF, le 29 mai rue du Havre à l’appel de la CGT et le 30 mai sur les Champs-Elysées en soutien au général de Gaulle – , la capitale en proie à une guérilla urbaine où la violence le dispute au saccage, puis, pour finir, la désolation qui en résulta (graffitis, pénurie d’essence, grève des éboueurs…). Un diaporama accompagné d’une voix off explicative nous montre, cliché après cliché, le travail d’approche qu’effectua Gilles Caron pour prendre sa célèbre photographie du jeune Cohn-Bendit dont nous parlions un peu plus haut, une photographie qui, nous le découvrons, ne doit rien au hasard.

Les Archives nationales, comme leur rôle l’exige, présentent les événements vus par le pouvoir en place. A l’intérieur de l’hôtel de Soubise, les documents exposés évoquent, par conséquent, la continuité de l’Etat au cours de cette période mouvementée et permettent de comprendre les rouages administratifs mis en œuvre. Le parcours chronologique remonte ici à l’agitation étudiante des 13 et 14 février 1968 pour se terminer en novembre avec le texte de la réforme universitaire.
Des vidéos et enregistrements sonores de l’INA d’un grand intérêt viennent brillamment illustrer le propos. Ainsi peut-on y entendre des extraits de deux interventions télévisées du général de Gaulle, l’une du 24 mai 1968 et l’autre, lors de la campagne pour les élections législatives de fin juin (pour mémoire, le premier ministre Georges Pompidou proposa de sortir de la crise par des élections législatives anticipées, après dissolution de l’Assemblée nationale, qui eurent lieu les 23 et 30 juin. Les partis de gauche, perçus comme fauteurs de troubles, furent largement battus par l’UDR, le nouveau parti gaulliste).

Les réactions des différents syndicats lors des négociations de Grenelle, le célèbre “La réforme oui, la chienlit non” lancé par Georges Pompidou le 19 mai, le soutien de l’ORTF à la grève, une interview du jeune lycéen Romain Goupil par Marguerite Duras… constituent de véritables moments d’histoire. Une historienne nous apprend que mai 68 a, au bout du compte, occasionné sept morts directes dont celle très médiatisée du lycéen Gilles Tautin lors d’une course-poursuite avec la police. Sur le plan culturel, après l’annulation du Festival de Cannes cette année-là, le Festival d’Avignon connaît à son tour en juillet une série de perturbations que Jean Vilar tente de maîtriser comme il peut.

Ces trois expositions se complètent à merveille et permettent d’avoir une approche affinée de ce que fut la révolution de 1968, sans oublier la qualité des photographies mises en avant. Lorsque l’art rencontre l’histoire…

De nombreuses autres expositions sont présentées dans des galeries, ainsi, par exemple, “Mai 68 : chorégraphie de la révolte” à la School Gallery Paris, ou dans des mairies d’arrondissement, comme celle des photographies de Philippe Gras à la mairie du XIIIème. Il semble donc difficile d’ignorer cette commémoration et ce serait dommage, tant elle nous aide à mieux nous remémorer cette période.

En 1962, Chris Marker évoquait un autre mois de mai dans une chronique documentée du Paris de l’après-guerre d’Algérie qu’il cosignait avec Pierre Lhomme, son chef opérateur : “Le Joli Mai”. Dans ce documentaire sourdait déjà la révolte à venir… Ajoutons que la cinémathèque consacre actuellement une magnifique et foisonnante exposition à l’artiste engagé avec la projection dans leur intégralité de trois films culte : « La Jetée », « Les statues meurent aussi » et « Le fond de l’air est rouge », documentaire constitué uniquement d’images d’archives qui retrace trois heures durant les mouvements contestataires dans le monde dont bien évidemment celui de mai 68.

Isabelle Fauvel

“Icônes de mai 68 Les images ont une histoire” du 17 avril au 26 août 2018 à la BnF François-Mitterrand.
“Gilles Caron Paris 1968” du 4 mai au 28 juillet 2018 à l’Hôtel de Ville. Exposition gratuite.
“68, Les archives du pouvoir” aux Archives nationales (du 3 mai au 17 septembre à Paris et du 24 mai au 22 septembre à Pierrefitte).
« Chris Marker, les 7 vies d’un cinéaste » jusqu’au 29 juillet à la Cinémathèque.

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Une réponse à Mai 68 en images et en expos

  1. Que restera t’il de mai 2018? Rien sans doutes

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