Ah c’est pour ça…

Les univers paranormaux n’existent par définition que par rapport à la normalité alors que l’inverse est impossible. Dans certains cas les deux mondes fusionnent et c’est ce qui fait toute l’étrangeté du film « Au poste » mitonné par Quentin Dupieux. L’histoire met en scène un homme standard issu de la vie courante et plongé dans l’intimité d’un commissariat de police. Absurdement soupçonné de meurtre il a affaire a toute une équipe de policiers somnambules et à l’intelligence poreuse.

Le risque de s’ennuyer est minime quand Benoît Poelvoorde est à l’affiche. Pourtant, dans la salle, passés les premiers rires conditionnés, un certain flottement est rapidement perceptible au fur et à mesure que le film « Au poste » égrène ses séquences. Le réalisateur nous perd dans une sorte de rêve éveillé où les frontières spatio-temporelles se mélangent. Une ambiance tout à la fois loufoque et inquiétante qui n’est pas sans rappeler « Buffet froid » de Bertrand Blier ou en encore « Un papillon sur l’épaule » de Jacques Deray.

Le piège fonctionne parfaitement. Benoît Poelvoorde donne d’emblée le ton avec sa générosité habituelle et l’on croise les jambes aussi loin que possible avec l’idée que la détente sera au rendez-vous et la certitude de faire le plein de bonnes blagues à raconter au retour. Ce serait trop facile. Ceux qui en 2014, ont vu le film « Réalité » du même auteur et coupé d’intermèdes bizarres sur une musique non moins à part de Philip Glass, seront moins pris au dépourvu.

En faisant passer sans crier gare son histoire du réel à l’irréel, du cinéma au théâtre, en créant des parenthèses hybrides où l’avenir s’invite dans le passé, Quentin Dupieux nous oblige à vivre le même malaise que le suspect pris dans les rets d’un interrogatoire de police. Toute une famille de personnages un peu minables gravite autour du duo formé par Poelvoorde et l’excellent Grégoire Ludig. À l’innocence de l’homme interrogé s’opposent l’absurdité administrative, la bêtise ordinaire, l’atmosphère glauque d’un commissariat lequel jamais ne voit le jour. « Au poste » est en effet un film nocturne qui nous contraint sans cesse, comme des chauves-souris, à supporter l’éclairage glauque des lieux. La projection en deviendrait presque irrespirable si cette histoire servie de main de maître n’était si originale. Chaque compartiment y a ses névroses comme ces dialogues incessants qui s’entrechoquent à coups de « c’est pour ça ». Dans une certaine mesure, le scénario rejoint nos craintes plus ou moins cachées. Où l’on se retrouverait dans l’impossibilité de se dépêtrer d’une accusation formulée à l’envi par un policier qui singerait un rôle de série B au lieu d’exercer simplement son métier. Voilà que l’on a payé pour voir un cauchemar où l’on se retrouve parfois à rire jaune. Sans issue, la trame ne cesse de se resserrer et le réalisateur sait ménager suffisamment de surprises dans un métrage presque court (1h13). Ce qui fait que l’on ne s’ennuie pas.

« Au poste » fait partie de ces films dont les programmateurs ne savent que faire. Chaque année voit donc apparaître quelques bonnes surprises au début d’une saison d’été où d’habitude se concentrent les navets. « Au poste » entre dans la première catégorie.

PHB

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2 réponses à Ah c’est pour ça…

  1. philippe person dit :

    Bigre ! Je n’ai même pas osé y aller en projection de presse…
    Cher Philippe, vous m’avez donné envie d’y aller… Mais attention ! Si vous avez fantasmé un film et que j’en vois un autre : je vous attends à la sortie… à la rentrée !
    Bien à vous tous qui participez à ce site qui ne déçoit jamais !

  2. Et c’est pour ça, après avoir lu votre critique, mon cher Philippe, que je suis allée voir « Au poste », idée qui ne m’avait absolument pas traversé l’esprit en croisant l’affiche dans les couloirs du métro. Alors un grand merci pour ce réjouissant voyage en absurdie! Quel plaisir de se laisser surprendre par un scénario inclassable et de merveilleux comédiens. Un véritable régal !

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