L’opéra envahit les salles obscures

Il a fait mentir tous ceux qui de par le monde prétendent que l’opéra n’est pas un art populaire. Décidant d’élargir et de rajeunir l’audience du Metropolitan Opera de New York, le nouveau «general manager» Peter Gelb lançait en 2006 la série «Live from the Met» à l’échelle planétaire, dont le succès a rapidement dépassé ses espérances.
Le concept comme le titre étaient formidables : donner au public de par le monde l’occasion d’assister en direct à des représentations du Met dans une salle de cinéma, en haute définition pour l’image comme pour le son. Et comme le Met peut s’offrir en général les gosiers stars du monde entier, malgré quelques ratés techniques progressivement surmontés, le succès fut pratiquement immédiat et effectivement planétaire.
De nos jours, chaque production de la série annuelle devenue «The Metropolitan Opera HD Live» est diffusée dans quelque 2 200 cinémas dans quelque 70 pays sur six continents, touchant quelque 250 000 spectateurs.

Ainsi le patron du Met sélectionne-il chaque année une dizaine de productions présentées «all over the world», et on a remarqué sans surprise que les gosiers stars les plus gâtés par la nature ont ses faveurs, en particulier : starissimes couples Anna Netrebko-Jonas Kaufmann ou Elina Garanca-Roberto Alagna ; ténors sexy tels le Péruvien Juan Diego Florez, le Polonais Piotr Beczcala, l’Italien Vittorio Grigolo ; sopranos comme la très classe Renee Fleming ou les délicieuses Christine Opolais et Sonya Yoncheva; rayonnante mezzo US Joyce DiDonato, souveraine Sondra Radvanovsky interprétant, au cours de la seule saison 2016-2017, «les trois reines» de Donizetti. Dernières venues au sein de l’écurie du Met, les jeunes sopranes Pretty Yende ou Nadine Sierra déploient leurs charmes avec beaucoup de sûreté.
Il s’est même dit, au début, que Peter Gelb privilégiait un peu trop le physique par rapport au talent véritable (allusion notamment à une certaine Anna Netrebko alors dans toute sa splendeur physique mais pas toujours assez préparée vocalement selon certains). Mais avec le recul la critique ne tient pas, puisque effectivement l’opéra filmé se rapproche dangereusement du cinéma et de ses gros plans. Le vieux dicton américain proclamant «L’opéra n’est pas terminé avant que la grosse dame ne chante» est certes depuis longtemps obsolète, mais les divas et divos sont-ils pour autant à leur avantage lorsque la caméra fouille la moindre de leur intonation, expression, expectoration ou respiration, même si c’est passionnant sur le plan technique ?

Cela dit, l’influence du cinéma aidant, divas et divos sont devenus autant acteurs que chanteurs, et quand on pense à l’exploit que représente le fait d’atteindre les plus hautes marches lyriques (et d’y rester), il y a de quoi demeurer pantois. Bien sûr la crédibilité de l’œuvre y gagne, mais comment font-ils ? La première chose que détecte la caméra est le naturel dans le chant. S’il ne semble pas couler de source, s’il y a trop de grimaces et d’efforts, la magie ne passe pas.
Et il faut bien dire que des gosiers nichés dans un corps vraiment trop plantureux, par exemple, passent difficilement l’épreuve. Je me souviens d’une récente «Sémiramis» de Rossini incarnée par la très en chair soprano US Angela Meade bien connue «in situ» mais vraiment difficile à regarder, surtout quand on avait en tête (et comment l’oublier ?) la splendide June Anderson, reine du rôle dans les années 1990.
La caméra peut se révéler aussi impitoyable d’une autre façon, si le jeu et les expressions ne nous convainquent pas. Ainsi en 2017 un «Roméo et Juliette» de Gounod interprété par deux stars du Met, Diana Damrau et Vittorio Grigolo, pourtant visiblement en osmose, pâtissait d’un certain maniérisme chez la soprano, qui gâchait notre plaisir. Je me suis souvent demandée s’il ne serait pas possible de filmer en réalisant moins de gros plans, mais personne ne semble y penser. Pourtant je persiste à croire que divas et divos n’ont rien à gagner à ces gros plans non stop, dont le cinéma d’aujourd’hui nous accable.

Bien entendu, dans une salle d’opéra la perception est tout autre, et à vrai dire l’opéra au cinéma ou «in loco» nous fait vivre deux expériences fondamentalement différentes. Il m’est arrivé de voir la même production dans les deux lieux, et c’est à peine si j’ai éprouvé le sentiment d’assister à la même œuvre. La présence de l’orchestre (si proche) et des chanteurs (vus de loin) sont irremplaçables, même si l’opéra au cinéma nous permet de découvrir bien des œuvres et des interprètes (et de retrouver nos idoles). Mais la retransmission «en direct du Met» est excitante, car la caméra parcourt la salle, et tandis que nous gagnons notre fauteuil de cinéma, nous regardons les New-Yorkais s’installer au Met dans le leur et bavarder avec leur voisin. Sans prendre l’avion et pour un prix très raisonnable, ce qui explique le succès de la formule.
Ces représentations filmées du Met ont aussi fait évoluer notre manière d’approcher l’opéra en nous dévoilant ce qui se passe «backstage» lors des entractes. Non seulement nous avons droit à des interviews avec les gosiers stars, mais nous voyons les techniciens démonter et monter les décors, en général assez impressionnants, ce qui nous donne le sentiment de pénétrer au cœur du mystère…

La onzième saison de la série, diffusée dans 480 cinémas Pathé Live en France, frappe fort : elle débutera le 6 octobre avec une «Aïda» de Verdi incarnée par la star des stars Anna Netrebko, suivie par un «Samson et Dalila» de Saint-Saëns porté par le duo super star Elina Garanca-Roberto Alagna (nouvelle production), lui-même suivi par «La fille du Far-West» de Puccini séduite par le bandit super super star Jonas Kaufmann en personne.
Le succès est tel que la série complète a été proposée dès le mois de mars dernier, soit 10 opéras pour 250 euros.

Lise Bloch-Morhange

 

www.cinemagaumontpathe.com

– Bien entendu, l’idée géniale de mister Peter Gelb n’a pas manqué d’être imitée, notamment par l’Opéra de Paris : la série «Viva L’Opéra» diffusera dans les cinémas UGC quatre opéras et deux ballets en direct de l’Opéra Bastille ou de l’Opéra Garnier à partir du 4 octobre : www.vivalopera.fr

– Onze productions, opéras et ballets, diffusés en France en direct du Royal Opera House de Londres à partir du 15 octobre : www.rohcinema.fr

– Signalons également l’excellente programmation opéra filmé du cinéma Balzac, salle d’Art et d’essai des Champs-Elysées, qui a fidélisé un public enthousiaste, et propose cette saison une douzaine d’intéressantes productions récentes pour la plupart, à partir du 20 septembre, mais pas en direct : www.cinemabalzac.com

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3 réponses à L’opéra envahit les salles obscures

  1. Solange Aincy dit :

    Merci Lise de ce très intéressant article .
    J’apprécie beaucoup ces retransmissions du MET , depuis plusieurs années.
    J’ai pu découvrir des opéras bien sûr, des divas et divos cités dans cet articles. Ma rencontre avec René Pape fut un vrai coup de foudre , quelle belle voix de basse !
    et plus récemment je fut sous le charme pétillant de Pretty Yende.
    Je ne mentionne pas Jonas….bien sûr!!

    Merci pour les liens des « concurrents » , très bonne idée, bien pratique

  2. Ping : Huguenots par ci, Rigoletto par là, sans oublier Aïda | Les Soirées de Paris

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