Toute une époque s’en est allée avec Willy Ronis

Lorsqu’il a vu cette femme entrer dans cet immeuble de la rue de la Cloche,  Willy Ronis explique qu’il s’est demandé s’il pouvait la photographier sans lui demander l’autorisation. Comme c’était après-guerre le droit à l’image tel qu’il est défendu aujourd’hui n’existait pas vraiment et Willy Ronis a pris le cliché sans plus d’arrière-pensées. La chance veut que l’exposition qui lui était consacrée au Pavillon Carré de Baudoin jusqu’à la fin du mois de septembre est prolongée jusqu’à la fin de l’année. Une belle occasion d’admirer son talent et de méditer sur toutes ces choses qui ont disparu comme la liberté de photographier qui bon nous semble à fin de publication ultérieure.

Comme nous vivons une époque un peu folle, la vie privée est de nos jours tout aussi défendue que ardemment bafouée par les aspirateurs de données auxquels la plupart d’entre nous se sont aveuglément abandonnés. Tel qui proteste contre les nouveaux compteurs Linky livre par ailleurs une large partie de sa vie privée aux réseaux sociaux. Il nous faut vivre avec ces paradoxes.

Willy Ronis a vécu tellement longtemps, de 1910 à 2009 qu’il a touché de la tête cet enfer débutant du big data (les données massives). Et tant mieux pour lui s’il en a réchappé de justesse. Ce fils de photographe a touché précocement un appareil Kodak avec lequel, très vite, il a développé un talent extraordinaire. Au Pavillon Carré de Baudoin il est possible de voir l’un de ses tout premiers clichés, un format hauteur réalisé dans la vallée de Chevreuse qui permet de constater qu’il avait déjà le sens inné de la prise de vue.

Gamins de Belleville, sous l’escalier de la rue Vilin, Paris, 1959 copyright: (1)

Toute une salle est dévolue à ses photos prises à Paris et notamment dans le secteur voisin du Pavillon Carré de Baudoin (20e arrondissement) comme la rue des Cascades. Ses objectifs ont saisi toute une vie disparue avec une sensibilité évidente pour capter là une attitude ou un groupe d’enfants, ici le regard mélancolique d’un homme de derrière la vitre d’un bistrot. Et oui il y a de quoi méditer sur ce Paris de Parisiens qui disparaît peu à peu au profit d’une cité mondiale où il est bien plus facile de trouver à manger une planche de tapas qu’une assiette garnie de crudités. Oui il faut assumer de le dire sur l’air de « c’était mieux avant« . Car les quelque deux cents chantiers qui lobotomisent actuellement le cortex de la capitale en écorchant son sol, non seulement effacent sa mémoire mais installent une sorte de paradis artificiel et hors de prix que progressivement les Parisiens moyens sont obligés de fuir. L’expo Willy Ronis nous emmène dans ces paysages urbains qui n’avaient pas besoin de se « réinventer » pour que l’on s’y sente heureux.

Cette prolongation inespérée rencontre un succès mérité. Qu’il s’agisse de ses nus naturels ou de ses très nombreuses photographies en direction des classes ouvrières (meetings, grèves), de ses voyages à l’étranger, on voit bien que Willy Ronis met l’humain au centre de son travail avec un respect évident pour les gens qu’il fige ainsi sur la pellicule. Il dit qu’il y a une part de chance dans une photographie réussie comme une petite fille qui intervient au dernier moment sur une digue de bord de mer ou un cavalier qui se met en ligne de mire alors qu’il cadrait trois pingouins de cirque en vadrouille dans un parc. Willy Ronis avait en outre l’originalité d’être un photographe qui légendait généreusement et c’est ce qui nous permet à nous visiteurs d’entrer facilement dans son monde, d’être le complice -approbateur- de sa façon de voir les choses. Indéniablement c’est une exposition à ne pas manquer y compris pour ceux qui pensent (peut-être avec raison) que demain sera toujours meilleur. Sauf que l’on n’a pas encore les photos.

PHB

(1) © Ministère de la Culture – Médiathèque de l’architecture et du patrimoine, dist. RMN-GP, donation Willy Ronis

« Willy Ronis par Willy Ronis » au Pavillon Carré de Baudoin, 121 rue de Ménilmontant 75020 Paris du mardi au samedi de 11h à 18 heurs. Entrée gratuite. Jusqu’au 2 janvier.

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3 réponses à Toute une époque s’en est allée avec Willy Ronis

  1. Oui ! Merci pour ce bel article. J’y aime bien votre phrase : « L’expo Willy Ronis nous emmène dans ces paysages urbains qui n’avaient pas besoin de se « réinventer » pour que l’on s’y sente heureux.»
    André Lombard.

  2. philippe person dit :

    J’ai « connu »Willy Ronis à la fin de sa vie… Il habitait le même immeuble près de Nation qu’un de mes amis et je le croisais souvent dans l’ascenseur. Toujours tiré à quatre épingles, d’une grande élégance et d’une grande gentillesse. Nous échangions quelques mots sur des choses du jour. Nonagénaire fringant, il était capable de se rappeler un ou deux mois après des bribes de conversation que nous avions tenues ensemble.
    Je n’avais pas osé lui dire que je savais qui il était. Je ne sais pas si ça lui aurait fait plaisir que je sois le millième à lui dire ma profonde admiration. Non, quand nous montions ou descendions les quelques étages en commun, il montrait toujours en quelques mots sa joie de vivre et sa foi en l’homme. J’aurais dû noter ces « éphémères conversations en ascenseur ». Il est trop tard, mais me reste en tête l’image de ce maître-photographe…

  3. FAUVEAU dit :

    ah merci de ce partage : la bonne nouvelle de la prolongation…

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