La virginité so british de Virginia Fly

Évidemment, elle ne pouvait s’appeler que Virginia, cette héroïne toujours vierge à 31 ans passés. Mais c’est de façon beaucoup moins évidente que Angela Huth en dresse le portrait dans ce roman datant de 1972, discrètement et tardivement publié par Quai Voltaire il y a deux ans et qui est en train de reprendre vie grâce à une parution cet été en Folio. Une première clarification s’impose d’emblée : beaucoup plus de 40 ans après sa première parution en Grande-Bretagne, « La vie rêvée de Virginia Fly » reste d’une étonnante modernité dans le ton et sur le fond. À ceci près que, écrit aujourd’hui, les protagonistes y communiqueraient à grand renfort de textos, d’échanges sur les réseaux sociaux en lieu et place des longues correspondances des années 70, tout juste entrecoupées de conversations téléphoniques brèves et destinées à convenir de lieux et d’heures de rendez-vous.

Une seconde clarification s’impose encore pour saluer l’auteur qui contourne habilement le cliché de la vieille fille vierge habitant toujours chez ses parents – même si c’est le cas de Virginia Fly – en donnant à son personnage une fantaisie (plus ou moins volontaire) et une auto-dérision parfaitement assumée qui estompent les jupes grises informes et les cheveux tirés en un austère chignon. Surtout, Virginia Fly est dotée d’une imagination fertile qui se manifeste à des moments si inattendus qu’elle embarque l’héroïne dans des absences proches de l’évanouissement. C’est quasi cinématographique.

Virginia est sans doute une ancêtre lettrée – elle est enseignante – de Bridget Jones. Et elle vit donc toujours chez ses parents. Elle fréquente d’étranges amis qu’elle invite dans ses vies fantasmées et auxquels elle accorde une importance proportionnelle à leur capacité à devenir « effectivement » des objets dignes de fantasmes, sentimentaux et sexuels. Ces mâles sont loin d’être des princes charmants : Charles venu du fin fond des États-Unis a la subtilité d’une batte de base-ball ; Hans, veuf durablement éploré, se perd dans des politesses et des précautions aussi poussiéreuses qu’un vieux chapeau ; Ulick, en instance de divorce, a le courage et la dignité du cocu pas du tout magnifique, même s’il a un certain sens de la formule, lorsqu’il dit, par exemple, : « Je suis sorti avec une fille du Surrey dans le temps. Elle était délicieusement préservée. En vingt-trois ans, personne n’avait réussi à défaire le nœud de son foulard Hermès. Évidemment, aujourd’hui, la pauvre, elle a divorcé deux fois et carbure à l’héroïne. »

Les parents forment un couple invraisemblablement mal assorti mais solide : lui est passionné de moyennes… c’est-à-dire qu’il est doté d’une forme de trouble obsessionnel compulsif qui le conduit à calculer la durée moyenne de tous ses faits et gestes, et à effectuer toutes sortes de calculs moyens qui lui permettent d’échapper aux obsessions domestiques de son épouse. Et là, bien plus que sur la future vieille fille, Angela Ruth se déchaîne en brossant les manies petites-bourgeoises de la ménagère du Surrey avec une cruauté et un humour 100% british. Le sarcasme est aussi subtil que féroce.

C’est d’ailleurs l’essentiel de la pâte dont est fait ce roman. Drôle, cruel et parsemé de surprises. Les surprises sont d’ailleurs le plus souvent mauvaises pour la malheureuse Virginia, confrontée à nombre désillusions auxquelles ses fantasmes de bonheur conjugal ne l’avaient pas préparée. Aucun personnage ne trouve vraiment grâce sous la plume de l’auteur. Et même le mariage final se voit barrer la route d’un happy end. Personne ne voudrait d’une cérémonie aussi laborieuse.

« La vie rêvée de Virginia Fly » n’est certes pas le roman du siècle, ni de l’année, ni même du trimestre. Mais ce sont 250 pages d’un divertissement acidulé et grinçant. So British.

Marie J

« La vie rêvée de Virginia Fly ». Angela Huth. Traduit par Anouk Neuhoff. Ed. Folio.

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