Heaven, I’m in Heaven

Dans le mélo de Lars Von Trier “Dancer in the Dark”, Palme d’or de l’année 2000, Björk interprétait une jeune ouvrière tchèque au destin tragique qui ne trouvait d’échappatoire à son triste sort qu’en s’évadant par la musique, à travers les chansons et les danses des grandes comédies musicales hollywoodiennes. Le musical, un remède à bien des maux ? En tout cas, un distillateur de bonne humeur, un moment de ravissement garanti. Ce genre cinématographique est actuellement célébré à la Philharmonie de Paris dans l’exposition “Comédies musicales, la joie de vivre du cinéma”. Une bien belle façon de prolonger les fêtes jusqu’au 27 janvier, dans une euphorie bienvenue.

“Le musical vous embarque dans un monde magique où vous pouvez faire des choses qu’aucune autre forme cinématographique n’accepterait… Cela vous donne comme artiste une très grande liberté.” dixit Woody Allen, auteur notamment du film musical “Tout le monde dit I love You” (1996). Et, comme spectateur, un bonheur des plus contagieux, aurions-nous envie d’ajouter… Des mélodies entraînantes, des compositions chorégraphiques savantes comprenant ballets, duos romantiques, numéros de claquettes, cabrioles endiablées avec des sauts toujours plus spectaculaires, des décors et costumes d’un raffinement extrême et aux couleurs souvent très vives, voire flashy… Cet univers merveilleux et féerique nous invite à garder notre âme d’enfant, à voir la vie en Technicolor, tout comme Dorothy dans “Le Magicien d’Oz”. 

Dès le hall d’entrée, le ton est joyeusement donné avec un mur recouvert d’affiches de films musicaux pour la plupart désormais cultissimes (1). Il est alors amusant de vérifier si, en bons cinéphiles, nous les connaissons tous.
La première salle de l’exposition s’ouvre sur un chef-d’œuvre du genre : “Singin’in the rain”, le film de Stanley Donen (1952), avec Gene Kelly dans le rôle-titre et à la direction artistique, mais aussi la chanson éponyme de 1929, reprise dans de nombreux autres films. “Singin’in the rain” est aujourd’hui encore la première comédie musicale citée dans les grands films de l’histoire du cinéma, avec un Gene Kelly toujours aussi heureux de se faire mouiller et, dans un rôle secondaire, une Cyd Charisse sexy en diable. L’exposition, très exhaustive, propose ensuite un petit espace didactique qui reprend de manière chronologique l’histoire du musical, de l’arrivée du parlant en 1927 avec “Le Chanteur de jazz ” jusqu’à aujourd’hui avec le phénoménal succès de “La La land ” (2016). Notons d’ailleurs que, depuis l’ouverture de l’exposition le 19 octobre, une nouvelle comédie musicale est apparue sur les écrans et fait déjà beaucoup parler d’elle : “Le Retour de Mary Poppins ”. La preuve, si besoin est, que le genre est toujours aussi prisé.

“Comédies musicales, la joie de vivre du cinéma” nous convie, à travers de nombreux extraits de films, entretiens, documents sonores, affiches, croquis, objets… à nous plonger en quelque sorte dans les coulisses de la fabrique de la comédie musicale. En la décomposant par les diverses compétences qu’elle nécessite, celles des réalisateurs, scénaristes, musiciens, auteurs de chansons, interprètes, chorégraphes, décorateurs, costumiers…, l’exposition nous permet de réaliser à quel point cet art s’avère total par la multiplicité des talents auxquels il fait appel. C’est ainsi avec des yeux d’enfant émerveillé que nous découvrons deux des costumes les plus emblématiques du film “Peau d’âne” de Jacques Demy : la peau d’âne et la robe couleur de soleil. Par ailleurs, un témoignage du styliste Albert Wolsky, ayant notamment travaillé sur “Grease” et “Que le spectacle commence”, nous éclaire sur la complexité du choix et de la fabrication des costumes, et tout particulièrement des chaussures, véritable bête noire des costumiers de comédies musicales ! Un hommage est d’ailleurs rendu à la merveilleuse danseuse et comédienne Cyd Charisse à travers les maquettes de ses costumes réalisés par les plus grands stylistes de l’époque. Des toilettes qui font encore rêver de nos jours…

Mais le clou de l’exposition est sans aucun doute cet écran de 20 mètres de base offrant un parcours on ne peut plus immersif à travers des projections géantes, multiples et simultanées, d’extraits de films analysés  selon des zooms thématiques particulièrement originaux et intéressants : ainsi, la chanson des jumelles dans “Les Demoiselles de Rochefort” de Jacques Demy (1967) mettant en parallèle le résultat final en couleurs avec des scènes de répétition tournées en noir et blanc ; ou encore l’accent mis sur la représentation alors totalement novatrice pour l’époque de la ville de New York à travers “West Side Story” de Robert Wise et Jerome Robbins (1961) ; mais aussi la mise en lumière des trois grandes stars féminines de la comédie musicale hollywoodienne que furent Marilyn Monroe, Judy Garland et sa fille Liza Minnelli ; les partenaires insolites que pouvaient avoir Gene Kelly ou Fred Astaire lorsqu’ils effectuaient des numéros de danse avec un personnage de dessin animé, un parapluie ou encore un simple tabouret ; la caméra vertigineuse du chorégraphe et réalisateur américain Busby Berkeley au service de numéros de danses aquatiques et synchronisées époustouflants qui jouaient tout autant avec les formes géométriques qu’avec les ombres et les reflets ; la séquence chorale “Tout en chic et en style” du champ de courses d’Ascot, dont la direction artistique avait été confiée à Cecil Beaton, dans “My Fair Lady”, le film aux huit Oscars de George Cukor (1964), adapté de la comédie musicale éponyme, elle-même inspirée de la pièce de George Bernard Shaw “Pygmalion” (1914).

Cette joie de vivre repose bien évidemment sur la musique, les chansons et les chorégraphies, le charisme et le talent des interprètes, mais aussi sur les images aux couleurs vives et gaies propres à ce genre cinématographique, d’où l’importance des décors et des costumes. Ainsi nous est montré l’espace “enchanté” des studios (“Hello Dolly”, “Charlie et la Chocolaterie”…) où furent créés des lieux on ne peut plus somptueux. Des parallèles sont astucieusement faits d’une époque à l’autre : ainsi une filiation naturelle entre Fred Astaire et Michael Jackson à travers un extrait de “Tous en scène” de Vincente Minnelli et le clip de la chanson “Smooth Criminal” (du film musical “Moonwalker”) fortement inspiré du premier ; la danse des objets dans les versions Disney de “La Belle et la Bête” (1991 et 2017) ou encore la révolution de la comédie musicale par le rock’n roll avec Elvis Presley (“Jailhouse Rock”) dans les années 50 et John Travolta (“Grease”), vingt ans plus tard.

Les rois des claquettes sont bien évidemment mis à l’honneur. Gene Kelly, célébré dès la première salle, mais aussi le grand Fred Astaire et, plus récemment, Gregory Hines que l’on a pu voir notamment aux côtés de Mikhaïl Baryshnikov dans “Soleil de nuit” (1985), rappelant que le tap dancing provient du jazz afro-américain. Il est même proposé aux visiteurs qui le souhaitent, petits et grands, de s’exercer à quelques pas de claquettes en suivant les indications de Fabien Ruiz, le coach et chorégraphe du film aux cinq Oscars “The Artist”. Une salle est, par ailleurs, réservée au cinéma des enfants et là, c’est tout simplement supercalifragilisticexpialidocious !
Si en France, la comédie musicale n’est pas un genre aussi populaire qu’aux États-Unis, quelques cinéastes français s’y sont tout de même frottés (Alain Resnais, François Ozon…), même si celui qui a le plus réussi dans ce domaine à long terme reste incontestablement Jacques Demy. L’exposition propose donc également un aperçu de la comédie musicale à travers le monde, Hollywood ayant fait des émules notamment en Inde, avec le foisonnant Bollywood, en Égypte, mais aussi au Japon ou encore en Russie.

L’exposition se termine, comme elle avait commencé, avec Gene Kelly, cette fois-ci sur un autre chef-d’œuvre : “Un Américain à Paris” de Vincente Minnelli (1951). 
Nous ressortons de ce vaste panorama musical des chansons et des images plein la tête, avec une folle envie de poursuivre ce rêve éveillé, ce moment d’intense griserie. Un désir immodéré de danser et chanter avec Fred Astaire “ Heaven, I’m in heaven / And my heart beats so that I can hardly speak / And I seem to find the happiness I seek…”

Isabelle Fauvel

(1). “Yentl”, “8 femmes”, “Dancer in the Dark”, “Swing Romance”, “Pas sur la bouche”, “La La land”, “La Mélodie du Bonheur”, “My Fair Lady”, “Le Danseur du dessus”, “L’Amour vient en dansant”, “Victor Victoria”, “Que le spectacle commence”, “Footlight Parade”, “West Side Story”, “Les Demoiselles de Rochefort”, “Mamma Mia ! ”, “Les Aristochats”, “Brigadoon”…

Exposition “Comédies musicales, la joie de vivre du cinéma” à la Philharmonie de Paris, jusqu’au 27 janvier 2019 

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2 réponses à Heaven, I’m in Heaven

  1. LECONTE dit :

    Le titre de cet exposition est merveilleux ! J’adore les vieilles comédies musicales, je les trouve totalement magiques. Aucun autre remède n’est aussi efficace contre la morosité. Lire cet article a littéralement coloré ma journée, merci infiniment. Merci .

  2. iturralde dit :

    j’ai visité cette EXTRAORDINAIRE expo,et votre article tombe à pic.
    j’essayais de raconter aux amis quel enchantement c’était,mais je vais les renvoyer à votre commentaire qui est exactement, ce que je voulais très imparfaitement leur dire ,
    un grand merci !
    et,si je peux me permettre,je voudrais signaler un autre bijou,que je suis allée écouter le lendemain à Bobino: Mozart Group; exactement la même ambiance joie,légèreté,poésie,humour,malice et bien sur de magnifiques virtuoses !
    Dans les deux cas on ressort et on se dit « ça fait du bien » !

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